Cécile Oumhani est une auteure et poète française dont la créativité prend racine dans les affinités développées, lors d’étapes de sa vie, avec le Canada, la Belgique, l’Inde, l’Allemagne, l’Ecosse ou la Tunisie. Son univers créatif est chargé de multiculturalité et sa passion pour l’humain transcende ses trames romanesques et les habille d’universalité. Avec une production profuse et diversifiée (une trentaine de livres où sont inclus romans, recueils de poèmes, livres d’artiste en tirages limités), Cécile Oumhani surprend, à chaque ouvrage, son lecteur en créant des univers tellement différents les-uns des autres, mais ayant, en commun, la même grâce des mots et des images.

D’où est née votre passion pour l’écriture ?

J’ai grandi dans une famille multiculturelle, qui vivait sur plusieurs continents, à une époque où la correspondance était le seul moyen de communiquer avec les êtres chers, quand ils étaient au loin.

Lettres sous enveloppe et aérogrammes, leurs mots étaient toujours chargés d’émotion. Ils nous permettaient de combler l’absence, de partager des vies qui se déroulaient à des milliers de kilomètres les unes des autres. Ils faisaient écho avec les livres que je lisais dans les deux langues de mon enfance, l’anglais de ma mère et le français de mon père. J’eus bientôt l’envie d’écrire moi aussi sur ces feuillets qui avaient une si grande importance dans ma vie familiale. Je me suis aperçue en écrivant à mon tour que la page est un espace à part entière, où tenter d’explorer et de dire le monde.

Où trouvez-vous l’inspiration ?

L’écriture est indissociable de l’attention que je porte aux êtres et aux choses autour de moi, à ces mille choses ténues et fugaces d’où naîtront des univers, pour peu que je me mette à leur écoute.

La conviction que chaque instant peut être porteur de l’une de ces rencontres me rend la vie toujours passionnante. Ce monde en perpétuel mouvement où nous vivons est empreint de traces, de bruissements que nous frôlons sans nous en rendre compte.

Ils ouvrent des chemins d’écriture insoupçonnés où entrer en résonnance avec d’autres histoires que la nôtre. Un visage croisé dans un aéroport, comme dans Le café d’Yllka, les archives d’Ellis Island pour Tunisian Yankee, par exemple… En écrivant, je donne chair à ces bribes et je suis leur histoire jusqu’au bout de ce qui m’a interpellée, touchée ou intriguée.

Comment définiriez-vous votre identité créative ?

Avoir grandi entre plusieurs continents dans une famille éparpillée a entraîné des éloignements, des séparations. Mais j’ai ainsi développé la faculté de me déplacer d’un lieu à un autre, d’une langue à une autre, comme si c’était une évidence. J’ai toujours eu l’occasion de rencontrer, de côtoyer des gens qui vivaient dans différents pays. Et ils étaient souvent mes proches. Naturellement mon écriture s’inscrit en un carrefour où ils se croisent, avec leurs cultures, leurs histoires.

J’ai toujours éprouvé le besoin de comprendre les questionnements des uns et des autres, avec ce désir de dépasser ce qui sépare pour rejoindre l’humanité que nous avons tous en partage. C’est sans doute la raison pour laquelle mes romans se situent dans plusieurs pays avec des personnages quelquefois exilés, confrontés à des guerres, à des conflits.

Quel pan de l’histoire souhaiteriez-vous aborder dans vos romans ?

Il est vrai que je suis hantée par le passé, par les fragments dont mon propre récit familial s’est toujours préoccupé, parce que nous vivions dispersés à travers le monde. J’ai donc une relation de prédilection avec des périodes révolues, presque autant que cet ailleurs qui m’obsède. Cela ne signifie pas que j’ignore le présent ou que je ne m’intéresse pas à l’avenir. Je suis convaincue qu’écrivaines et écrivains, nous avons tous une responsabilité face au monde et que nous devons nous exprimer sur ce qui le déchire et ce qui le menace.

Parlez-nous de votre dernier projet.

La Ronde des nuages est un recueil de poèmes paru fin 2022 aux éditions La tête à l’envers. Il est né d’une résidence d’écriture à laquelle j’ai été invitée dans le massif de La Chartreuse. J’ai eu la grande émotion d’y apprendre que le peintre J.M.W Turner avait voyagé et travaillé dans cette région. Les paysages autour de moi me menaient vers un passé à ciel ouvert. Je ne cessais d’aller et venir entre les oeuvres numérisées par la Tate et ces chemins où il me semblait rejoindre le regard de Turner à plus de deux siècles de distance. Les poèmes sont nés de cette recherche de ce qu’avait vu le peintre, de ce tremblement à poser mes pas dans les siens si longtemps après, à sentir la temporalité propre à une nature qui nous dépasse, surtout dans des régions où les paysages ont peu changé. Dominique Sierra, mon éditrice, a immédiatement souhaité accompagner le livre de quelques-unes des œuvres qui m’ont tant impressionnée. Grâce à elle et au musée de la Tate, cinq œuvres de J.M.W Turner sont reproduites dans ce livre qui me tient particulièrement à cœur.

Et le prochain ?

Il s’agit d’un roman qui va être publié aux éditions elyzad début 2024. Deux femmes, l’une de France, l’autre d’Inde et d’Afghanistan, se rencontrent par hasard dans la cafétéria d’un hôtel au Moyen-Orient, où le voyage de chacune s’est momentanément interrompu.

Il y est question de perte, d’exil et aussi de ce besoin poignant de retrouver des traces pour comprendre. Le passé continue d’irriguer notre présent, à notre insu, d’où que nous venions et quel que soit l’univers auquel nous appartenons. Il nous tenaille à chaque pas que nous posons, sans doute parce que c’est en l’élucidant que l’on peut avancer.

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