La saison estivale s’ouvre, en Tunisie, sur des cas de viols en nombre. Hier, on évoquait un garçon de 10 ans qui a été la victime d’un professeur pervers. Aujourd’hui, on parle de 4 fillettes qui ont été abusées par un enseignant. Harcèlements, attouchements et viols sur mineurs, un crime qui se répète à un rythme effrayant. Avons-nous entrepris la bonne approche pour éradiquer ces crimes contre l’enfance ? Ou ne les a-t-on appréhendés qu’à travers le prisme polémique ?

C’est souvent au rythme des buzz sur les réseaux sociaux qu’on s’informe, qu’on informe, qu’on s’indigne et qu’on demande réparation à un préjudice dépassant l’entendement. Qu’il y ait un cas isolé de violences sexuelles sur mineur est un fait divers désolant. Qu’il y en ait plusieurs en peu de temps est une réelle problématique. Ce que l’on perçoit encore comme un épiphénomène est un phénomène dont la gravité va crescendo, au rythme du traitement superficiel dont elle fait l’objet et de l’accueil officiel artificiel qui lui est consacré.

Les chiffres pouvant certifier d’une manière formelle les cas de dépassements sur mineurs demeurent méconnus. Deux raisons à cela : la première c’est une certaine opacité découlant du fait que rendre public des études, y compris sur des sites internet, soit jugé accessoire. La seconde est la pudeur sociale faisant que pareilles expériences soient encore vécues comme honteuses, à garder dans la sphère de l’intime, personnel et familial.

Que pareils cas soient évoqués médiatiquement est salutaire dans la mesure où cela fasse perdre à un phénomène social lourd l’aspect tabou qu’il revêt. Toutefois le non-dit peut gagner en dangerosité en devenant public. L’approche psychanalytique est indispensable du côté de la victime comme de celui du coupable. L’approche sociologique aussi. L’approche « politique », également. Dans un pays où la femme et l’enfant disposent d’un ministère qui leur est attitré, l’intervenant que l’on s’attend à entendre en premier, c’est justement le ministère de la Femme. Et quand celui-ci ne réagit pas ou réagit trop tard, cela en dit long sur la nonchalance ou l’intérêt conditionné et, de ce fait, occasionnel qu’on accorde à des problèmes majeurs.

Violer un enfant est un crime. Un crime dont les intervenants essentiels ne sont pas uniquement la police et la justice. Nombreux sont ceux qui ne sont pas inquiétés en attendant que la justice tranche en leur défaveur ou en leur faveur, qui ne se soucient de rien en attendant qu’un enfant ait le courage de dénoncer ce qu’il a subi, qui mènent une vie paisible en attendant que des parents aient l’audace de dire ce qui leur a été confié. La transition entre le volet policier et celui concernant la préservation des potentielles victimes est assurée par le délégué à l’enfance, d’une manière générale. Mais qu’en est-il de la réinsertion sociale des « pervers » ayant sévi au moins une fois ?

D’une manière générale aussi ils sont lâchés dans la nature et ils ne sont inquiétés qu’une fois repérés de nouveau. Car exclure de son établissement un enseignant potentiellement montré du doigt ou désigné par les autorités comme coupable n’est pas suffisant, il faudrait peut-être réfléchir à une sanction autre. L’idée d’exclure momentanément de la société un violeur n’exclut pas le fait qu’il récidive dès sa sortie. Dans une coordination entre les différents intervenants et influents en ce qui concerne pareils dérapages, il serait peut-être utile de penser à assurer un suivi, une surveillance régulière, une thérapie obligatoire pour éviter que le nombre de victimes ne s’accroisse.

La solution qui peut être radicale pour éradiquer ce mal consiste aussi dans notre capacité à bannir l’hypocrisie sociale, celle qui nous fait dire que tout va bien dans le meilleur des mondes, qui tente de maquiller vulgairement les travers de notre société et d’occulter tout écart jugé immoral. Le jour où l’hypocrisie qui nous permet de nous leurrer nous-mêmes sera dépassée, nous pourrons combattre efficacement nos fléaux et essayer de remédier à ce qui est dommageable pour autrui. Sinon la frustration fera de nous des monstres et le silence pudique n’en sera que plus incitatif.

Pour moins que des viols à répétition sur des mineurs par des personnels enseignants, nous avons assisté à des cercles de réflexions, des délégations, des commissions, des cellules de crise et des réunions officielles. Afin de limiter les dégâts et de rendre justice aux enfants et aux parents frappés par un tel drame, peut-être est-ce utile de réfléchir à une stratégie de traitement conjointe abordant les cas repérés d’une manière globale et penser aux victimes et à l’aide qui pourrait leur être procurée. Le viol d’un enfant doit cesser de n’être qu’un article de presse attirant les lecteurs et un statut Facebook suscitant les j’aime et je déteste. Ce qui touche à nos enfants est une affaire nationale et c’est à la nation de faire respecter la morale quand celle-ci n’est plus connue ou reste méconnue à certains. Cela se passe, dans le premier maillon de la chaîne, qu’est l’école. Mais au fait, comment va l’école, en Tunisie ? Ah oui, même pas de devoirs de fin d’années, nos enseignants sont en grève ! Pour rappeler la notion de morale, il faudra les oublier…

Consulter la source