Le 7 mars 2016, la Tunisie a vécu au rythme d’une attaque terroriste ayant visé Ben Guerdane. 36 terroristes tués, sept arrêtés et 18 martyrs entre civils et sécuritaires. Tout au long de la journée, ce qui était, au départ, perçu comme un attentat « ordinaire », s’est avéré être « un acte sans précédent », comme l’a désigné le président de la République Béji Caïd Essebsi. Le bilan s’est, en effet, révélé être lourd en pertes humaines, vers la fin de la journée. Un couvre-feu a été décrété à Ben Guerdane et d’autres décisions ont suivi. Auront accompagné les commentaires de l’actualité dense, un bal télévisé et radiophonique d’experts sécuritaires… et trois buzz, au moins.

 

La réplique de Beji Caïd Essebsi : « Une attaque sans précédent » mais « qu’on attendait », c’est ainsi que le président de la République a commenté les affrontements de Ben Guerdane. Ce qui sonnait en arabe comme une antiphrase était une description plutôt fidèle d’événements aussi prévisibles qu’inédits, aussi envisagés que complexes. Des sécuritaires visés et des civils aussi. La situation tunisienne, géographiquement et économiquement, est un terreau fertile pour un terrorisme qui s’est exporté, dans un premier temps, et qui fait un retour aux sources, dans un deuxième. Le contexte d’instabilité chez le voisin libyen n’a fait que rendre plus fragiles les frontières tunisiennes. Armes en tous genres font ainsi la traversée régulièrement, d’après plusieurs observateurs. Muraille de sable et barrières électrifiées n’y pourront rien probablement, tant cela a atteint le stade de phénomène difficile à endiguer. Nous sommes conscients de ce qui nous est arrivé, lucides quant à ce qui nous arrive et clairvoyants par rapport à ce qui nous arrivera. Nous n’en demeurons pas moins au stade de réplique, là où on devrait être à celui de l’anticipation, au niveau de la réaction, là où c’est l’action qui est requise, nous sommes dans la défense au lieu d’être dans l’attaque. Une marge de retard, en somme, malgré laquelle toute perte humaine est relative au vu des autres vies épargnées.

 

Le selfie militaire : Depuis la matinée du 7 mars, des photos de corps de terroristes ont commencé à circuler sur la toile. Partagées d’abord par des pages Facebook de la région de Ben Guerdane puis par celles officieuses des forces sécuritaires. Les clichés ont été partagés par nombre d’internautes, comme pour dire la revanche sur l’ennemi. C’est dans ce même contexte qu’a été perçu le selfie de quatre jeunes militaires, grimaçant devant des corps de terroristes. La photo a été partagée, mais aussi critiquée. D’abord, deux journalistes d’Al Jazeera, puis le journal français Libération ont pointé le caractère « anormal » de pareille prise. Des internautes, en masse, ont répondu à l’attaque par la contre-attaque : point de droits de l’Homme pour ceux qui tuent des hommes, point de décence avec ceux qui ont eu l’indécence de viser leurs concitoyens, point de scrupules avec ceux qui n’en ont pas eu à endeuiller des familles de Tunisiens pour une cause qui n’en est pas une. De l’autre côté de l’argumentaire, on pointe l’inconscience de sécuritaires jeunes banalisant des événements sanglants lourds en conséquences pour un pays encore instable. Une guerre 2.0, chopée à coup de Candy, aux allures de shooting de petites stars et à l’allure de jeux vidéo pour un pays qui a du mal à s’habituer au mal qui le frappe.

 

Et les partis au pouvoir ont décidé…. Une marche. On l’attendait leur conférence de presse annoncée à la fin de l’après-midi. D’autres fractions politiques ont publié des communiqués, les partis au pouvoir, eux, ont choisi de rassembler les médias pour une annonce. Ils annonceront leur décision d’organiser une marche pour dire non au terrorisme. Programme sympathique pour après-midi ensoleillé : se dégourdir les jambes, scander, au même moment, des slogans comme on les aime. A bas le terrorisme ! A bas l’islamisme politique ! A bas Ennahdha ! Ah non ! Pareil slogan ne convient plus ! Ennahdha est, désormais, au pouvoir, au même titre que les démocrates qui avaient fait de la sécurité nationale un slogan électoral. Après nous avoir fait marcher, rien de mieux qu’une marche pour nous faire oublier, le temps d’une mascarade dont ce n’est pas le moment, que le chemin reste long pour que ce pays recouvre sa stabilité et pour que gagne enfin le patriote sur le marginal qui restera comme tel.

 

Crédit photo: Tunivisions (Montage Makrem Kasraoui)