Révolution, cinq ans après, l’euphorie immédiate à ce qui a changé la Tunisie politiquement et socialement est passée. Eteinte à force de désenchantements, on la rallume, lors de cérémonies et de marches, le 14 janvier de chaque année. Récupérée politiquement, la date du soubresaut tunisien qui continue de secouer le pays se célèbre certes, mais sur un mode sceptique. Qu’a-t-on changé ? Vers où allons-nous ? Révolution, oui, mais…

             – Enfin une démocratie ! Nous avons un président élu, des députés qui nous représentent. Nous avons une Constitution toute neuve, tellement neuve qu’elle aurait presque besoin d’être rôdée. Nous sommes en démocratie mais nous n’avons pas encore commencé à relire autrement nos lois et à les mettre à jour. En cinq ans, beaucoup d’incohérences ont été constatées, à cause de l’inconstitutionnalité de notre cadre législatif. Un système à dépoussiérer pour que cessent les injustices au nom de lois anachroniques.

            – Enfin la pluralité ! Nous avons des partis par dizaines, nous qui n’en avions qu’un, prépondérant, écrasant, omniscient. Nos partis fertiles en paroles et en promesses se sont toutefois écrasés au premier tournant électoral. Notre pluralité est stérilité de propositions, de débats, de changements. Que sont devenus, Al Joumhouri, le Front populaire ou Ettakattol ? Seuls en restent des slogans quasi commerciaux, des logos traduisant leurs déchéances et un brin de chauvinisme de ceux qui s’y sont trop mouillé la chemise pour avouer, tel un mea culpa, leurs erreurs de parcours. Plus de cent partis et une scène politique sans consistance efficace.

            – Enfin écouté l’appel à la dignité ! Ceux qui ont crié, au nom de la dignité, leur colère ont eu gain de cause. Enfin, pas tout à fait. Et pour cause, un taux de croissance inapte à résorber le chômage. Et un taux de chômage trop élevés pour voir se réaliser les rêves d’une jeunesse qui peine à s’épanouir. Rester digne en étant dans le besoin, rester digne en devant tendre la main pour vivre, un exercice difficile auquel s’adonnent, à contrecœur, beaucoup de Tunisiens. Rester digne face à l’indigne inégalité sociale, ce mal qui s’amplifie, plus on s’éloigne des grandes villes. Cinq ans après, le développement régional est encore au stade de notion abstraite que les discours politiques ont vidée de toute substance.

            – Enfin nos différences assumées ! Fini le temps où on devait se cacher pour faire ses prières et ranger, dans les tiroirs de fond, ses lectures d’extrême-gauche. Nous vivons plus aisément nos différences. Toutefois, uniformisés,avant,au nom d’une politique refusant la différence, nous sommes,aujourd’hui, divisés mais au nom de l’idéologie. Laïque, islamiste, salafiste, moderniste, obscurantiste… Autant d’adjectifs traduisant l’appartenance idéologique et devenant insultes, dans certains contextes. Prétextes à une dichotomie, dans le cadre d’une société dont les contours se redessinent, des fois, dans une intolérance pouvant se muer en violence.

             – Enfin la liberté d’expression! Des journalistes aux plumes libres, des orateurs aux langues déliées, des esprits déchargés du poids de la censure et de l’autocensure. La vie est belle et tout le monde veille au grain. Toutefois, une forme de pression persiste et l’impact du politique via ses lobbies et ses figures fortes se maintient en place mais autrement. Des procès contre des journalistes, il y en a eu, malgré la marge de liberté acquise et exploitée au quotidien. Un bras de fer régulier entre l’oppression latente et la soif de liberté.

Cinq ans de révolution et des réserves résumées à cinq polyvalences. Nous n’en demeurons pas moins chanceux de pouvoir vivre pareille transition, un regard soulagé tourné vers le passé et un autre un peu plus inquiet scrutant l’avenir.  « Sois le changement que tu veux pour le monde » disait Gandhi. Soyons celui apte à redresser cette Tunisie que cinq ans de changement n’ont pas permis encore de revoir fleurir entièrement.