Des secrétaires d’Etat et des ministres par dizaines, un chef de gouvernement prêt à tout refaire pour plaire à tout le monde et des projets de pouvoir enfin réalisés ! Nous pouvons désormais nous taire, pour laisser Essid et son équipe travailler. Quoiqu’il en soit, les voix dissidentes ne leur parviendront même pas, car, quand on est politicien et qu’on arrive à son but ultime, le peuple devient inutile. On est là pour le commander et il croit être là pour qu’on l’écoute. Et puis que veut dire « opposition », quand tous les partis ou presque sont au pouvoir ? Dans la configuration de la V2 du gouvernement Essid, le poids des personnes hors pouvoir est réduit, en nombre d’élus et en pouvoir réel. Le pouvoir a, en effet, attiré, vers son centre de gravité, plus d’un parti, plus de deux, plus de trois ; plus d’un leader, plus d’un dirigeant de parti, plus d’un opportuniste, plus d’un arriviste et au moins un laudateur…

Nous nous retrouvons ainsi dénués d’une opposition de taille assez conséquente pour être redoutée et d’un poids assez lourd pour être déterminant. Nos opposants à l’ARP seront issus du CPR, du Courant démocratique et du Front populaire. Ils seront épaulés, dans leur vain rôle, par quelques indépendants. Car ils sont, par le biais de leur partis d’attache, partie prenante dans le pouvoir exécutif, des députés, en nombre non négligeable, ne pourront pas faire le contrepoids dans la sphère législative. Seule une poignée d’élus pourra, si le besoin se présente et il se présentera, s’opposer aux décisions de ce gouvernement issu du sein même de Nidaa Tounes.

Nombreuses sont les personnes qui voient, en pareille démarche, un esprit positif qui permettra d’accroître le rythme de croisière de la République qui se reconstruit, de ne pas ralentir les réformes et d’amener le pays, dans la célérité, vers l’avenir meilleur promis par Nidaa Tounes. Mais y a-t-il un projet concret de réforme ? Pouvons-nous espérer l’avenir meilleur et croire encore en les promesses d’un parti et de leaders ayant déjà fait le contraire de ce qu’ils ont promis ? La réponse est oui, parce qu’il est facile de berner celui qui l’a déjà été plusieurs fois. Les engagements publics pris par les Nidaïstes, comme avant eux les takattoliens, de ne pas s’allier à Ennahdha ont été suppléés par le désenchantement d’après-alliances. Le désenchantement a été, quant à lui, suppléé par une attitude d’hostilité, puis par une nonchalance refroidissant tout citoyen conscient quant à la chose politique et le reléguant aux rangs des opposants puissants seulement par une critique en réalité vaine. Nous n’en sommes pas là, les pro-Nidaa trompés et les électeurs trahis sont encore à la phase dégoût. Mais l’Histoire a bien pardonné aux adeptes du vitriol. Elle pardonnera donc bien aux menteurs, aux opportunistes et aux arrivistes !

Quant à ceux qui ont permis aux politiciens affairistes d’avoir, du gâteau, une part, deux, trois, ils auront été bien utiles, comme leur vote l’a aussi été. Tout est relatif, en effet, y compris la notion d’utilité. Utile à qui, à quoi ? Certainement pas à sa propre personne ; assurément pas à sa propre vision. Mais pour ces ministres de demain, vous avez été bien utiles ! En revanche, ils ne vous en remercieront pas et votre revanche, vous ne pourrez la prendre que dans cinq ans, si vous ne l’avez pas oubliée d’ici là. Les promesses aussi ça s’oublie ! N’avait-on pas promis de venger les martyrs, de trouver les assassins de Belaïd et de Brahmi, de combattre l’islamisme politique qui les a indirectement achevés ?

Oui. Mais c’était avant que l’on parle de consensus et de fraternité, de la nécessité de cohabiter, avant les dialogues, les rencontres et les tractations. Et puis les martyrs sont bien vengés ! Ils ont un secrétariat d’Etat qu’ils se partageront avec les blessés de la révolution. Et d’ici trois jours, on commémorera tous ensemble le décès de Chokri Belaïd, les accusateurs aux côtés des accusés. Ce qu’elle est belle cette alliance ! Elle en révèle des incohérences chez certains politiciens beaux parleurs et grandes gueules!

Mais soyons positifs ! Nous avons un gouvernement « melting-pot », d’un panache original, un gouvernement hétéroclite et sans pareil. Les conflits ? Il n’y en aura pas, sauf sur les plateaux télévisés, éventuellement. Ce qui n’est pas mal en soit, car il nous faut du spectacle dans cette morosité pesante. Ailleurs que sur les plateaux, chaque parti sera occupé à mordiller, dans son coin, l’os qu’on lui a offert en échange de son acquiescement le jour J.

Soyons positifs, Nidaa pourra travailler tranquillement à notre bien-être, après avoir pourri la vie à ses prédécesseurs pour des erreurs qu’il commence, soit dit en passant, lui-même à faire.

Soyons positifs, Ennahdha n’est pas un allié. Il a juste un ministère et deux secrétariats d’Etat. Il aura peut-être une société nationale à diriger et une ambassade à gérer. Il n’est pas allié mais il n’est pas opposant non plus, compte tenu de la nature même de l’opposition qui veut que ne soit pas considéré comme tel celui qui est dans le pouvoir aussi.

Soyons positifs, nous avons des ministres au calibre certain. Si ce n’est dans leur domaine d’activité à venir, au moins dans un autre domaine d’activité qui rapporte gros : le baratin politique (oui, c’est un pléonasme assumé) ! Nous avons des laudateurs experts, des visionnaires ayant vu que le CV ça se retouche en fonction du ministère consenti, des professionnels qui ont du flair dans le choix du parti à racoler et de la position à y prendre. Quand on a ce profil, la nature du portefeuille et son adéquation avec le parcours devient sans importance.

Soyons positifs, non seulement, nous avons un président mais également un clone de ce président qui a été nommé par ce président lui-même et qui aura la lourde tâche de le représenter. Le ridicule ne nous a pas tués jusque-là, alors on se tait et on avance !

Soyons positifs, il y a bien des indépendants dans le prochain gouvernement et des ministres, potentiels partisans, mais compétents et intègres. Eux, pourvu que le jeu du pouvoir et le plaisir qu’on y prend ne les mute pas en bêtes politiques sans scrupules (oui, c’est un oxymore assumé).

Ennahdha et Nidaa au pouvoir, Afek et l’UPL aussi : nous voilà face à une majorité gouvernementale issue de notre propre choix électoral mais en la composition de laquelle de nombreuses personnes ont du mal à se projeter. Un désenchantement qui rappelle celui d’après 2011 ayant abouti à la ruine de deux partis bien partis pourtant, à l’époque, pour fédérer, en l’occurrence Ettakattol et CPR. Nidaa voulu comme alternative- sans s’en avérer être une- a su, lui, affaiblir ses adversaires, dans sa route rapide vers la case pouvoir, en puisant, en eux, cadres et électorat de circonstance. Arrivé à une taille faisant de lui le rival de son ennemi d’hier, Nidaa a fini par vouloir amadouer le monstre pour le combat duquel il se disait né. Mais aux côtés de ce pot de fer, les pots de terre seront nombreux à voir leur destin se révéler aussi misérable que leurs desseins. « Ne nous associons qu’avec nos égaux » disait la morale de Jean de La Fontaine. Nos jeunes partis, grandis seulement par la volonté populaire, ne l’ont toujours pas compris.

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