S’il est un pays qui connaît la gueule de bois d’après-élections, comme nous l’avons connue après la révolution, c’est bien la France. Malgré sa démocratie enracinée, malgré son attachement à la pluralité politique, malgré sa tolérance quant à la différence idéologique, la France est explicitement critique face au parti d’extrême droite. Elle dit ouvertement, à travers ses médias et ses figures politiques, son indignation face au choc qu’a constituée sa victoire inattendue aux dernières élections.

Les lendemains de votes ont des goûts difficiles, visiblement. En cette période de crise politique, il est des votes-sanction. En cette période de crise économique, il en est d’autres refuges. Quand les temps sont durs, l’on part vers l’extrême, vers une foi excessive, vers un nationalisme affirmé à l’extrême. Une quête de l’identité s’opère souvent par ces temps durs. Toute spécificité mise à part, c’est en partie ce qui est arrivé en Tunisie, lorsqu’un peuple connu pour sa foi modérée a érigé, au pouvoir, l’islamisme politique. Celui là même qui avait fait, parmi les Tunisiens, des victimes défigurées au vitriol et d’autres mortes dans des explosions orchestrées, dit-on, par ceux qui nous ont un certain temps gouvernés.

C’est que l’extrême rassure. Il est voulu comme une manière de sanctionner une politique à évincer, car non appréciée, car non efficace. C’est le cas de François Hollande, président français, qui a prouvé, au cours de son mandat encore en cours, les limites du socialisme dans sa conception actuelle, mais peu d’actualité. Une révision du « Socialisme » politique s’impose puisque les impératifs du citoyen comme de l’Etat ont changé. Bien loin de l’efficience escomptée, encore plus loin de ses promesses électorales, François Hollande est très critiqué, pour sa politique, pour sa présence, pour son absence. Bref, tourné en dérision, le président français rappelle à bien des égards, notre Moncef Marzouki national ou du moins la manière dont est perçue, en majorité, sa prestation présidentielle.

Mis, en quelque sorte, en quarantaine, suite à des votes ayant acculé le socialisme au rang de nos « zéro virgule » ou presque, François Hollande devrait démissionner, selon certains observateurs. « Le score minable du Parti socialiste témoigne de la défiance des Français à l’égard de François Hollande et de son gouvernement à des niveaux jamais atteints sous la Ve République« , a écrit Hervé Morin, président de l’UDI, dans un communiqué paru dans le Figaro, il y a deux jours. Mais protégé par un « bouclier institutionnel », Hollande restera en place, entre l’Elysée et la rue du cirque, il continuera son sur-place politique. Ses dernières sorties ont tourné à la douche froide et les passages du cortège présidentiel par les Champs Elysées, n’attirent plus la foule, tant l’image de la présidence a été avec lui changée (en témoigne la célébration de l’Armistice, ce 8 mai 2014).

C’est que François Hollande avait opté, dès le début de son mandat, pour une certaine normalité qui l’a desservi. « La présidence normale » était un des slogans de sa politique de proximité annoncée. C’est aussi ce que voulait faire un Moncef Marzouki qui, en dévêtant la présidence de la République de ses protocoles, et en ôtant la cravate, a pensé rester davantage proche du peuple, par le paraître et par l’attitude. Moncef Marzouki en est-il devenu plus populaire ? La réponse est non, car le peuple a désormais le flair pour cerner le populisme et car l’on attend plus d’un président que d’être un président « simple ». « La fonction d’un président de la République, ce n’est pas une fonction normale. Et la situation que nous connaissons, ce n’est pas une situation normale. Votre normalité, elle n’est pas à la hauteur des enjeux », avait répondu le président sortant Nicolas Sarkozy à François Hollande, lors d’un duel télévisé. Celui même qui a connu le célèbre « Moi, président de la République » repris 15 fois de suite par le candidat socialiste de l’époque.

Hollande et Marzouki ont axé leur politique, prioritairement, sur l’image qu’ils veulent donner d’eux-mêmes, sur leur manière d’être, sur leur attitude. Ils sont restés attentifs à leurs propres attentes et ont omis que la conjoncture impose plus d’eux et que si attente il y a, c’est bien du côté des gouvernants que cela se situe. L’on attend donc plus d’un gouvernant que de la simplicité et on s’impose, en premier, auprès des électeurs, par le charisme, par exemple.

C’est ce qu’a compris en France le Premier ministre Manuel Valls. C’est ce qu’a compris en Tunisie, le chef du gouvernement Mehdi Jomâa. Les deux ont une présence imposante qui a suppléé à celle plus lisse de présidents qui se cherchent encore. Des présidents qui, en cassant l’image ancienne de la présidence, ont altéré la leur. Avec son « J’assume », prononcé plusieurs fois de suite à l’Assemblée nationale, Manuel Valls a voulu mettre en évidence son courage, son endurance et son sens de la responsabilité. A travers son attitude et sa manière de prendre les choses en main, Mehdi Jomâa s’est façonné une image de force et de compétence au regard des Tunisiens. Même si les résultats de son gouvernement se font attendre, même si ses discours ne sont pas encore assez travaillés, le chef du gouvernement tunisien a réussi à maintenir tel quel, voire améliorer, son capital sympathie et combler le déficit occasionné sur l’Etat par une présidence défaillante.

Par ailleurs, ce qui a impacté les dernières élections en France, c’est sans conteste, un taux d’abstention fort. Celui-ci se chiffre à 56,89 %, lors des dernières élections européennes. Il était de 39 % lors des dernières municipales. Pour les dernières élections tunisiennes, le taux d’abstention, en octobre 2011, a été important aussi. Il a atteint des records pour les Tunisiens de l’étranger où on enregistrait près de 75% de taux d’abstention. Quant à notre président, il a élu par 153 députés de l’ANC à laquelle il est parvenu grâce au vote favorable de quelque 17.000 électeurs. Pour nos élections qui se préparent en ce moment, un effort devra être fait pour que soient influencés et revus à la baisse, les abstentionnistes susceptibles par leurs passivités de faire chavirer l’embarcation qu’on peine à faire parvenir à bord.

Entre-temps, en France, des partis implosent et le schéma politique vit une mutation importante. Entre-temps, en Tunisie, des partis politiques et des alliances implosent et le schéma politique vit aussi une mutation vers l’improbable. Malgré les sondages effectués chez nous, depuis un certain temps, le paysage politique final reste incertain et les choix des votants et des abstentionnistes demeurent mystérieux car souvent imprévisibles.

«Sortir de l’Europe, c’est sortir de l’Histoire», a déclaré François Hollande dans le cadre d’une tribune publiée, dans le Monde, en date du 8 mai 2014, et intitulée « L’Europe que je veux ». Face aux « eurosceptiques », le président français a choisi une décence quelque peu normale. Face aux « afro-sceptiques », notre Moncef Marzouki a choisi l’indécence et la suffisance qui font dire à un président de la République, devant les ambassadeurs des pays du continent africain, que ses concitoyens sont des «ignorants qui ne réalisent pas qu’eux aussi appartiennent à l’Afrique ».

« Si l’UMP et le PS étaient bons, le Front national n’existerait pas », a déclaré Marine Le Pen (leader du Front national sorti gagnant des derniers scrutins en France). Une citation évoquée dans « Marine Le Pen, notre faute ! », un livre sorti hier en librairie en France. « Si notre opposition était bonne, Ennahdha n’aurait pas connu sa résurrection », déclarent tous les jours des Tunisiens ayant encore à la mémoire l’arrière-goût d’un certain 23 octobre, une amertume qu’un prochain scrutin pourrait faire oublier ou, au contraire, pourrait rendre plus vive.

Consulter la source