Ils sont nombreux à vouloir répondre à l’appel du nord quitte à prendre le large à bord de dangereuses petites embarcations.  Seul les motive l’espoir d’un avenir différent de celui auquel ils se sentent voués, un avenir vécu comme une fatalité, celle du chômage et de la misère économique et sociale qui en découlent.

Ils sont plus de 12 mille à avoir péri en Méditerranée entre 2014 et juin 2017, une fin qu’ils ont bel et bien envisagée dans l’élaboration de leur projet. Conditions de voyage difficiles, clandestinité, bandes organisées, rien de rassurant pour celui qui paie dans les 2 mille euros en espérant échouer sur  l’autre rive vivant.

Certains y arrivent. La vie qui les attend est souvent loin de la vie espérée. De l’autre côté de la Méditerranée, ils sont loin d’être les bienvenus. Des campagnes se mettent en place du côté italien pour les traquer en pleine mer, pour ralentir le travail des flottes humanitaires tentant de les repêcher, le tout en se faisant aider par des partenaires outre Méditerranée. Le but: faire baisser le flux d’arrivées.

Partenaires très particuliers

Des  parties libyennes ont pu bénéficier de formations et de matériel afin de jouer aux « barrages maritimes ». Ce choix de collaboration fait de la part de l’Italie répond à « une stratégie d’ensemble de l’UE consistant à sous-traiter aux autorités libyennes la tâche d’endiguer la migration vers l’Europe par voie maritime, en dépit des profondes inquiétudes suscitées par le fait que l’on confiait ainsi cette responsabilité à une des parties dans un pays déchiré par les conflits et où les migrants courent le risque de subir d’horribles abus », selon Human Rights Watch. Un reportage réalisé par l’émission L’Effet papillon diffusée sur Canal montrait jusqu’où les autorités italiennes pouvaient aller pour ralentir le rythme migratoire clandestin à défaut de pouvoir le faire stopper.

Ces partenaires très particuliers ont pour objectifs d’intercepter les flottes clandestines, de ramener vers la Libye les personnes repêchées et d’empêcher les navires humanitaires d’agir. Une fois leurs plans mis en échec, les migrants sont entassés dans des prisons improvisées. Des conditions de détention douteuses et un avenir encore plus incertain les attendent. Pratiques inhumaines, violation des traités internationaux par des partenaires mercenaires, l’instabilité politique en Libye est l’argument avancé pour justifier de tels choix.

Bientôt, des éléments de ces brigades libyennes iront se faire former en Tunisie, pour apprendre à mieux appréhender  le flux de départ qu’ils se sont engagés à contrôler.

Et en Tunisie, la situation est loin d’être meilleure. En effet, un récent accident en pleine fait polémique. Le 8 octobre 2017, un bateau militaire a percuté une embarcation d’immigrés au large de Kerkennah. Bilan: 46 morts. Malheureux hasard  ou prise de risque exagérée? La question qui se pose est gênante pour beaucoup de Tunisiens car mettant en mauvaise posture l’armée tunisienne et à mal la relation entre le peuple et ce corps de métier jusque-là préservé et respecté.

Une version des faits donnée par un rescapé fait état d’un acte prémédité à l’encontre des migrants. Version démentie par le porte-parole de l’armée nationale évoquant un accident.

Le sujet n’en finit tout de même pas de défrayer la chronique. Des protestations violentes ont eu lieu dans des villes dont les personnes mortes sont originaires. Le chef du gouvernement a annoncé que l’affaire ne sera pas classée sans suites et que l’enquête déterminera la marge de responsabilité de chacun. Ici, le pathétique fait presque sourire.

Pas de travail, pas de dignité

Démarche honteuse, acte de désespoir pratiqué en secret, l’immigration clandestine est vécue comme un phénomène global, une mouvance dont les composantes sont anonymes, presque innommables. La perception qui en est faite est celle d’un groupe et nom d’individus. Le rejet qui leur est opposé aussi.

Derrière chaque groupe partant, dont le voyage s’achève au contact du sol européen ou au fond des mers les séparant du monde d’en face, il y a des histoires, des familles et des personnes par milliers. A chacun son expérience, son vécu et son devenir. A chacun son lot de désespoir précurseur d’une prise de décision difficile, d’une poignée d’espérances très souvent fausses, de détresse familiale, de doute et de regrets.

Ces personnes et leurs familles se sont exprimées après l’accident tunisien. Sur les ondes des radios, à la télévision, ils ont été nombreux à dire ce qui les pousse à vouloir quitter leur pays et à faire fi du danger de mort qui les guette.

Une mère a avoué avoir payé la traversée pour son enfant de 16 ans et pour cause, celui-ci lui a expliqué qu’il n’a aucun avenir en Tunisie et que si, mourir tel ou tel jour était sa destinée, cela pourrait advenir en mer ou ailleurs. Elle a accepté son choix.

Une jeune fille a appelé au secours afin de convaincre de renoncer à son projet son fiancé qui lui a annoncé sa décision de départ imminent.

Un jeune homme a avoué avoir entrepris les démarches nécessaires à l’organisation du voyage. Pas de travail, pas de dignité. C’est l’argument principal qu’il a avancé, tout comme la plupart des candidats à la mort par noyade.

Des promesses qui sonnent creux

En Tunisie, l’Etat a beau enchaîner les annonces de décisions pour les jeunes défavorisés, un décalage persiste entre la réalité et les promesses et très souvent cela sonne creux. Les organismes internationaux tentant de remédier aux « vagues d’envahissement » ont beau dépenser des fonds pour des projets visant à éviter les mouvements de départ, rien n’y fait!

Le chant des sirènes se joue désormais sur de nouvelles gammes et il n’en a pas fini de faire des émules suicidaires. Outre l’argument financier dissipé par la réalité des difficultés économiques quasi mondiales, c’est un autre argument qui pousse désormais certains vers l’esquive: la recherche du respect, de la dignité, de la préservation des droits…

Des valeurs morales que l’on dit ne pas trouver chez soi et que l’on pense naïvement trouver chez l’Autre; cet Autre prêt à tout, pourtant, pour ne pas voir arriver ceux qui ne rêvent que de départ.

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