La Tunisie est exposée, par déviation, au mal ayant frappé la Libye, un mal indéfinissable encore et dont les débouchées demeurent inconnues. L’issue reste donc improbable, mais notre pays la subira, incontestablement.Une équation à deux inconnues que celle que connaît la Tunisie, celle d’un mal étranger à sa volonté et celle d’un autre inhérent à l’avenir politique qui s’y dresse. Entre conflits « inter-partis » et conflits « intra-partis », la scène politique tunisienne sombre dans un flou qui profitera, à coup sûr, à ceux qui doivent se délecter en observant nos démocrates sombrer. Le mal est là et les efforts se concentrent ailleurs. Malgré la grogne, la machine continue d’avancer.

Ben Ali et son appareil de communication avaient rempli de mots un système vide de sens. Des valeurs telles que la liberté d’expression, la pluralité, les droits de l’Homme y étaient inexistants en pratique et, pourtant, les termes les désignant étaient employés à profusion, dans un discours maniant machiavéliquement, la langue de bois. Les institutions d’après révolution ont perverti, à leur tour, les nobles valeurs auxquelles aspirait le peuple. Ils ont vidé de leurs sens des mots pourtant scandés spontanément par ceux qui sont sortis chasser la dictature.

Dignité, on en usera, indignement, malgré des outrages qui continuent. Vérité, on en abusera, pour mentir aux désabusés que nous sommes.
Vérité et dignité, des deux on fera une Instance. Le tout a été voté, hier, malgré la contestation et les défaillances relevées. Des recours ont été déposés contre 6 noms présents dans les listes et représentant un écart quant aux normes mises en place dans la sélection. La présence de Sihem Ben Sedrine, ou encore Khémaïes Chammari, a été décriée par beaucoup. Epinglée au sujet de ses revenus et critiqué pour son ancienne proximité avec le système Ben Ali, les deux noms gênent plusieurs observateurs et militants des libertés.

Pourtant le 15 mai, la commission de tri des candidatures à l’instance Vérité et Dignité a rejeté l’ensemble des recours. Une majorité s’élevant à 98 voix (23 contre et 4 votes blancs) accordera aux 15 personnes, désormais membres de ladite Instance, un droit de regard sur les violations commises par l’ancien régime. Principal outil de la Justice transitionnelle, l’Instance de la Vérité et de la Dignité sera en charge d’indemniser les victimes et de mettre en place la conciliation nationale.

Continue donc sa percée, la rancœur ô combien négative à un pays qui peine à se reconstruire après la dictature. Continuent à couler à flot, les budgets annexes en salaires et en dédommagements qui alourdissent davantage une économie bien chancelante. Continuent à s’ériger en défenseurs des nobles valeurs, ceux qui ne sont pas exempts des contestations. Continue le pervertissement de la langue et des principes qu’elle dit au profit de l’indicible, celui consistant à faire des droits des autres un fonds de commerce pour soi.

Avec l’appui attendu de l’Assemblée nationale constituante ayant atteint depuis longtemps sa date de péremption, la nouvelle Instance rendra-t-elle, divinement, justice aux victimes d’injustice par le passé ou à ceux qui continuent encore à l’être ? Injustice, la notion est tellement usitée. Les mots manquent pour donner corps à la souffrance de ceux qui, malgré leur appel à la dignité, continuent à pâtir d’un déséquilibre social les plaçant en-deçà de l’attention. Dignité, cela sonne faux avec les déclarations d’une responsable de l’Institut de protection de l’Enfance qui avance que son organisme ne se charge pas des enfants après leurs décès, pour justifier l’oubli d’un enfant à la morgue des mois durant.

Nous nous sommes désormais habitués à un fait : derrière tout ce qui est pompeux se cache une volonté de dompter et, par les valeurs et les nobles mots qui les disent, s’opère, des fois, la perfidie, celle de tirer profit du mal des autres pour des causes qui ne profiteront qu’à soi.
Dans mon pays où des journalistes continuent à être agressés, où les blessés d’une révolution révolue continuent à souffrir d’un mal visiblement incurable, où les institutions sociales jettent à la morgue des enfants dont elles se disent être à la charge de la vie uniquement et non de la mort, la vérité n’est pas bonne à lire et la dignité demeure à l’état de notion.

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