Elle a 13 ans. 14, dans un mois, d’après le procureur de la République au Kef. Elle a été consentante, toujours selon lui, pour avoir une relation avec le beau-frère de ses deux soeurs. Elle en sera l’épouse d’après une décision de justice (voir article*) l’autorisant à se marier, à son âge, à celui qui est perçu comme son violeur.

C’est qu’être consentante à 13 ans ne peut tenir comme argument pour de nombreuses personnes que l’affaire a choquées. C’est qu’à un aussi jeune âge, l’on ne peut avoir assez de discernement pour être responsable de ses actes, même ceux qui, en réalité, ont un impact majeur sur son avenir.

« Lorsqu’elle est venue nous voir elle avait du henné sur les mains mais la cérémonie du mariage n’a pas encore eu lieu », ajoute le procureur dans une déclaration à la presse. Sacré détail!

La décision est venue appuyer la volonté d’une famille voulant étouffer l’affaire, ajoute-t-il. « Pour que la famille ne soit pas salie dans le voisinage ». Sacré argument!

Et quand la famille a un penchant archaïque, la loi lui donne raison au lieu de prendre le relais pour protéger une enfant doublement victime; triplement victime, en réalité! Car, à celui qui l’a mise enceinte, elle la mineure, et à sa famille qui n’a pensé qu’au « qu’en dira-t-on », s’est ajoutée la loi, celle qui fait désormais l’injustice au nom d’un texte désuet.

L’affaire de cette fille est loin d’être un fait divers…

Au delà de la gravité de pareille décision de justice, au delà de l’impact qu’elle aura sur le devenir de cette personne, au delà du fait que l’on ne puisse ainsi tracer l’avenir d’une mineure alors qu’elle ne peut, elle-même, faire des choix y ayant trait. Au delà de tout ce cafouillage moyenâgeux, c’est un système judiciaire aussi moyenâgeux qui est à blâmer.

Nous avons beau nous enorgueillir de notre Constitution révolutionnaire, dresser le profil d’une Tunisie plus prospère en 2020, flatter l’ego tunisien en citant l’aspect précurseur du Code du statut personnel , nous sommes encore très loin en termes de législation. Et tant que la loi qui fait le socle de la Tunisie au quotidien est défaillante, le salut de ce pays et de ses enfants n’est que partiel.

Bienvenus à l’ère des anachronismes juridiques. L’ère à laquelle, au nom d’une supposée précocité, on ferait marier des gamines de 13 ans et on laisserait fiancer celles de 12. L’ère à laquelle on célébrerait des noces au lieu d’éduquer, on légitimerait l’inconscience au moyen de décisions de justice et on cautionnerait l’esprit rétrograde au nom de la loi.

D’après Gandhi, « Dès que quelqu’un comprend qu’il est contraire à sa dignité d’homme d’obéir à des lois injustes, aucune tyrannie ne peut l’asservir ». C’est peut-être parce qu’elle et les siens n’ont pas compris qu’il s’agit, dans cette affaire, de dignité qu’une loi tyrannique a été mise à exécution. Ceux qui l’ont compris ont le devoir de réagir.

Certes la société civile est montée au créneau, comme elle le fait régulièrement, au rythme des polémiques, mais son intérêt pour les fondements du problème risquent de s’estomper, une fois une autre polémique déclenchée. Qu’en sera-t-il de cette fille une fois mère-fille? Que lui propose-t-on en alternative à cette décision de justice suspendue car anachronique? La laisser élever son enfant seule et dans un environnement familial hostile n’est pas une solution adéquate non plus. Il ne suffit incontestablement pas de montrer les problèmes. Il faut aussi tenir à ce que soient touvées des solutions.

Et s’il est un impératif dans ce pays, c’est là qu’il résiderait: On devrait être forts de ses lois, non faibles et honteux par elles!

* Article 227 bis: « Est puni d’emprisonnement pendant six ans, celui qui fait subir sans violences, l’acte sexuel à un enfant de sexe féminin âgé de moins de quinze ans accomplis (…) le mariage du coupable avec la victime (…) arrête les poursuites ».

 

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