Du voyage officiel en cours de Béji Caïd Essebsi aux Etat-Unis, restera incontestablement une image. Celle d’un président se mettant en arrière-position et d’un Mohsen Marzouk signant un memorandum tuniso-américain aux côtés de John Kerry, le secrétaire d’État des États-Unis. Peu après sa publication sur les réseaux sociaux, ladite photo a fait l’objet de nombreuses critiques. La question n’en a pas fini d’alimenter la polémique : Pourquoi Mohsen Marzouk ? Retour sur une image qui dérange.

C’est donc Mohsen Marzouk qui a scellé, le 20 mai 2015, d’une manière officielle et fortement symbolique, les liens qui lieront, désormais, la Tunisie aux Etats-Unis d’Amérique. De l’accord signé, les Tunisiens ne retiendront, en majorité, pas grand-chose. Le document est pourtant important. Le texte stipule, ainsi, l’engagement des USA à soutenir les capacités sécuritaires et militaires de la Tunisie et à renforcer davantage la coopération dans le domaine de lutte contre le terrorisme. Il institue, en outre, la mise en place d’instances communes qui auront en charge de veiller sur les partenariats économiques et les échanges commerciaux tuniso-américains. Ne s’agissant que d’un memorandum n’engageant pas d’une manière « contractuelle » et concrète la Tunisie, la signature apposée aux côtés de celle de John Kerry pouvait être celle du ministre-conseiller tunisien, le seul à avoir un statut proche de celui de John Kerry parmi la délégation, c’est l’explication juridique donnée notamment par Mohsen Marzouk lui-même. Pourtant deux autres ministres étaient présents : Selma Elloumi et Slim Chaker, respectivement ministres du Tourisme et des Finances, en plus d’un secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères et vice-ministre de ce même département.

Ce qui a, donc, mobilisé l’attention générale, c’est bien Mohsen Marzouk, fraîchement désigné à la tête du parti Nidaa Tounes. Dès sa nomination au poste de secrétaire général du parti au pouvoir, celui-ci a décidé de renoncer à son poste au sein de la présidence de la République. Mohsen Marzouk n’est donc plus le conseiller aux Affaires politiques. Il a pourtant été du voyage américain de Béji Caïd Essebsi. Cela s’est justifié par le fait que ce soit lui qui a préparé le voyage en question et qui, de par un carnet d’adresse washingtonien bien fourni, soit un des pions importants à ne laisser partir qu’après « cette virée» importante aux Etats-Unis. Ministre-conseiller, Mohsen Marzouk le sera, ainsi, jusqu’à son retour du voyage officiel, c’est ce qu’il avait lui-même annoncé quand il avait été interrogé sur le potentiel cumul de postes.

Mohsen Marzouk n’est pas que conseiller, il est ministre-conseiller. Elidé de l’écriteau le présentant, le statut de conseiller n’aurait pas permis au nouvel homme fort de Nidaa d’occuper la place où on l’a vu hier. C’est, en revanche le statut de ministre dont il jouit qui lui a permis d’occuper les devants de la scène et de reléguer aux arrière-plans, et au « premier degré », le président de la République, lui-même. De nombreux experts et juristes se sont exprimés sur la question et, pour la majorité d’entre eux, la polémique, d’un point de vue juridique, n’a pas lieu d’être. L’article 7 de la Convention de Vienne régissant le « droit des traités », dispose, en effet, qu’une « personne est considérée comme représentant un Etat pour l’adoption ou l’authentification du texte d’un traité ou pour exprimer le consentement de l’Etat à être lié par un traité, si elle produit des pleins pouvoirs appropriés; ou s’il ressort de la pratique des Etats intéressés ou d’autres circonstances qu’ils avaient l’intention de considérer cette personne comme représentant l’Etat à ces fins et de ne pas requérir la présentation de pleins pouvoirs ».

Officiellement, rien à relever ou presque, hormis le fait que le « ministre Marzouk » ne fait pas partie du gouvernement, mais de la présidence de la République. Cependant, ce qui a permis pareille « opportunité » à celui-ci, c’est justement l’absence du chef de la diplomatie tunisienne, en l’occurrence Taïeb Baccouche. Resté à Tunis, le ministre des Affaires étrangères n’a pas justifié sa non-participation au voyage officiel longuement préparé, y compris par ses propres troupes. Un silence qui a été la porte ouverte aux spéculations dont les plus plausibles font état d’un froid avec Béji Caïd Essebsi et les plus folles évoquent sa mise à l’écart au profit d’une vedette montante. Cette absence devient raisonnable au vu des dossiers aussi délicats que nombreux qui incombent à M.Baccouche et à son ministère (affaires libyennes notamment). Des sources dignes de foi ramènent l’absence de Taïeb Baccouche au fait qu’à la préparation de la visite, il était prévu que John Kerry soit en déplacement à la période à laquelle allait se dérouler la visite du président tunisien. C’est donc Lyès Kasri, directeur général Amérique-Asie, qui allait suppléer son ministre. Sauf que lorsque le déplacement qui allait engendrer l’absence de Kerry a été annulé et que la présence de celui-ci a été confirmée à la partie tunisienne, l’éventualité d’embarquer notre ministre des Affaires étrangères a été occultée. L’absence de Taïeb Baccouche aura toutefois permis au nouvel homme fort de Nidaa de se faire remarquer politiquement, tant en Tunisie à travers la polémique suscitée que sur le plan américain, à travers une position politique forte.

Le ministre des Affaires étrangères a, en outre, été remplacé lors de la visite américaine par M’hammed Ezzine Chlaifa, secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères qui devait, initialement, signer le memorandum en question avec son homologue américain. Avant d’être rappelé à ce poste par Habib Essid, en février 2015, M.Chlaifa était ambassadeur de Tunisie à Washington et maîtrise, de ce fait, le contexte américain. Le ministre des Affaires étrangères a donc été représenté par un directeur génral de son ministère, par le secrétaire d’Etat nommé plus haut et par Fayçal Gouia, nouvellement nommé au poste d’ambassadeur de Tunisie à Washington. La présence des deux diplomates et du vice-ministre ne leur permettra pas d’occuper les devants de la scène, celle-ci était réservée au ministre-conseiller sur le départ : Mohsen Marzouk.Les trois représentants de la diplomatie tunisienne seront mis, comme le montre une autre photo prise le 20 mai, en bout de table, alors que le protocole exige qu’ils soient assis après les ministres mais pas derrière toute la délégation, conseillers présidentiels compris, nous précise-t-on.

Au-delà de l’aspect officiel, la lecture de la photo de la signature du memorandum tuniso-américain renvoie l’image d’un ministre-conseiller imposant. Beaucoup de commentaires y verront l’esquisse de l’avenir politique promis et prometteur de Mohsen Marzouk. Celui qu’on dit être le favori de Béji Caïd Essebsi mais aussi des américains se serait, dans ce cas, précipité dans la tâche, au point de rehausser son image au détriment de l’image de celui qui a, en quelque sorte, contribué à sa propulsion : Béji Caïd Essebsi. Et ce n’est pas pour la personne du chef de l’Etat qu’on aura réagi, au vu des nombreuses critiques, mais pour le président de la République qu’il est. Ce prestige de l’Etat longtemps pleuré par les Nidaïstes, quand un certain Moncef Marzouki l’incarnait, aura été lourdement atteint au profit du nouveau chef de Nidaa.

D’un point de vue juridique, toute la polémique n’en est que ragot. D’un point de vue protocolaire, les choses sont tout autres. La posture de Béji Caïd Essebsi, en elle-même est, selon la lecture purement diplomatique, une entorse aux protocoles. Le président de la République n’avait pas à se mettre debout derrière les deux protagonistes principaux et devenir ainsi tellement « secondaire ». Sa présence en pareille position aurait été plausible s’il y avait à ses côtés le président américain. L’attention n’avait visiblement pas été attirée sur ce « détail », et pourtant ce sont ces détails qui font la communication dans le sens destructeur d’une image comme dans celui constructif. Cela dépend des points de vue.

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