La Tunisie, précurseur en matière de démocratie, peine, depuis trois ans, à atteindre la stabilité. Le parcours évidemment difficile est mené par des néophytes observés par des néophytes et critiqués, de toutes parts, par des néophytes qui se présentent, des fois, comme des experts confirmés. La politique devient, dès lors, un véritable laboratoire et nous voilà nous-mêmes cobayes de chercheurs ne cherchant, dans la majorité des cas, que la réalisation de leurs ambitions.

L’amateurisme trouve toute sa splendeur dans la composition du gouvernement Essid. A peine annoncée, la composition du nouveau gouvernement est amenée à être revue. Le premier essai a fait face à des refus en nombre et, avant même de passer devant l’ARP, nos ministres potentiels seront, à coup sûr, remplacés par d’autres.

Nous ignorons sur quel critère ces stars d’un weekend ont été nominées pour les portefeuilles. Les avait-on consultées en amont ou juste mises au parfum quelques minutes auparavant ? Le désistement d’un Karim Skik, potentiel ministre des TIC et de l’Economie numérique, en dit long sur un casting orchestré de manière légère. Soit Habib Essid a été très mal conseillé en matière de sélection puis de communication, soit, en se laissant mener par Béji Caïd Essebsi qui l’a lui-même choisi, il a foncé vers le fiasco, sans même voir vers où être conciliant le menait.

Pouvait-on arriver au pouvoir sans être un fin stratège ? Là encore, l’équation ne trouve pas de solution et les hypothèses les plus divergentes restent de mise. Selon la première, Nidaa et ses dirigeants nous manipulent ; selon la deuxième, ils sont, eux aussi, en plein pataugeage. Les tergiversations actuelles sont-elles inattendues pour ceux qui en ont orchestré les causes ou sont-elles, au contraire, l’effet escompté par une annonce voulue comme provocatrice. Il est possible qu’on nous prépare à accepter la présence d’Ennahdha dans le gouvernement alors que les essais évoquant cela ont été mal accueillis. Un bon communicateur et un politicien professionnel a toujours une marge d’avance dans ses décisions et dans le choix de ses paroles : tel un fin psychologue, il anticipe les réactions ; tel un fin pédagogue, il facilite l’assimilation de ce qui pourrait même relever de l’inadmissible.

Mais peut-être cherche-t-on le génie là où il n’y en a point. Il est possible, en effet, que Nidaa, propulsé au pouvoir par la peur de l’islamisme, n’ait pas les moyens de ses ambitions politiques devenues réelles. Une fois devant la tarte à découper, Nidaa, essoufflé par la course au siège, serait donc tombé en plein dedans et se serait entarté lui-même. Sacrée tarte ! Longtemps on nous a parlé de la Tunisie comme une pièce de pâtisserie à partager. Les métaphores de nos politiciens mauvais communicateurs en disent long sur la nature prosaïque de leurs desseins. Leurs voltes-faces sont l’expression de leur amateurisme incontestable, sur le plan stratégie et sur le plan communication.

Qu’ils soient des génies ou de véritables poires, les éléments connus et inconnus planant dans la sphère décisionnelle actuelle ont une marge d’erreur considérable. Avec ce passage au pouvoir nul n’est dans son élément, et la mutation de l’opposition à la « gouvernance » a la fâcheuse « vertu » de grossir les lacunes et de les rendre visibles. L’expérience qu’on nous a présentée vendredi dernier a l’air de ne pas prendre, faute de dosage, faute de la composition, faute d’avoir préparé le cadre ambiant. Il y a faute, incontestablement, et le professionnalisme, s’il en reste une trace, se mesurera dans la manière de résoudre enfin l’équation difficile de l’appartenance partisane et de la compétence, du pragmatisme et de la complaisance.

Laissera-t-on à Béji Caïd Essebsi et à ses clones autour de Carthage la marge la plus large pour choisir quel portefeuille pour quel nom ou Essid qui a réalisé qu’un deuxième échec ne sera endossé que sur son propre compte reprendra-t-il les rennes d’une décision qui naturellement lui revient ? Parce qu’il est hétéroclite, le gouvernement « transgénique » a été refusé à l’unanimité car il est dur, en l’absence du génie, de faire passer, pour normal, le contre-nature. Si le parti au pouvoir et ses dirigeants sont conscients que ce qui importe ce n’est pas leurs ambitions d’hégémonie mais celles de ne pas achever leur pays, Habib Essid est alors la bonne personne, celle de la conjoncture et de tous les défis, comme il est de mode de le dire.

Cette bonne personne choisie par Nidaa est alors capable de faire de bons choix, et si ces choix ne sont pas faciles à accepter il faudra réfléchir à la manière de faire avaler la pilule avant de la proposer. Autrement nous nous retrouvons face à des hésitations mettant à mal la stabilité du pays et la confiance du citoyen. Ce pas vers l’arrière est-il constitutionnel ? Peu importe nous sommes entre nous ; personne ne nous observe et celui qui a dit que nous étions un exemple exagérait un peu. Nous sommes le pays du système D, nous avons bricolé une Constitution, nous bricolerons alors un gouvernement, puis un deuxième. Les cobayes que nous sommes peuvent attendre, le laboratoire démocratique cherche encore la potion magique pouvant nous guérir de l’amateurisme chronique de notre classe politique.

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