Mabrouk Soltani a été tué par des terroristes, quelque part en Tunisie. Il avait 16 ans et n’a pas été achevé une seule fois. Ceux-ci ont fait de lui la victime commune de tout un système:

 

– Tué par ceux qui l’ont envoyé dans la gueule du loup:

Le jeune berger n’a pas voulu céder son troupeau de chèvres aux terroristes. C’est la version première qu’on aura des raisons qui ont fait que le jeune Soltani soit décapité. Selon la version moins épique qui se répandra ensuite, le mineur jouait le rôle d’indicateur pour le compte des forces sécuritaires. Son troupeau n’était donc qu’un prétexte pour ratisser d’une manière autre les montagnes investies par les terroristes. Comme Mabrouk, trois autres bergers ont été assassinés.

-Tué par celui qui n’a défendu sa dignité  que pour régler ses propres comptes:

La tête de la jeune victime envoyée par les terroristes à sa propre famille a fait l objet d’un spectacle désolant dans le cadre du Journal Télévisé de la chaîne nationale. Le rédacteur en chef du JT a été licencié. Le PDG de la chaîne  le sera, également, peu de temps après. Les sorties médiatiques de celui-ci évoqueront ensuite un scénario selon lequel l’incident lié à la mort de Mabrouk Soltani n’était qu’un prétexte pour le mettre à la porte. Le dirigeant en question aurait refusé de se plier aux demandes d’une présidence de la République qui aurait tenté de faire de lui un organe de propagande. Pauvre Mabrouk, ta misère a été instrumentalisée. Ta mort aussi!

– Tué par celui qui, au moyen de sa mort, dopera son audimat:

Depuis l’annonce de la mort du jeune Mabrouk, de nombreux journalistes ont invité sur leurs plateaux des membres endeuillés de sa famille. Rien de mieux que de vraies larmes pour appâter les téléspectateurs. Rien de mieux que le voyeurisme pour doper son audimat. Les cousins, le frère et même la mère ont été appelés en renfort pour nous faire sombrer, nous, nos journalistes et nos médias dans une bassesse inouïe. Pauvre Mabrouk de ta mort, ils nourriront leurs égos en quête de fausse réussite.

– Tué par sa propre mère:

La mère éplorée de Mabrouk était présente ce soir sur nos écrans. Elle a évoqué les officiels et leurs manquements à son égard, à la demande de l’animateur qui a fait d’elle de la matière pour son spectacle. « Je n ai rien eu, ni couvertures, ni de l argent », déclarera, naïvement, la mère à qui le besoin a fait oublier qu’on n’échange pas la tête de son fils contre des couvertures et un chèque. Pauvre mère vous êtes plus à plaindre qu’à blâmer.

-Tué par ceux qui partageront la video de son exécution:

Les terroristes ont rendu publique, ce soir, l’enregistrement de la décapitation du jeune berger et l’interrogatoire qui l’a précédée. Ceux qui partageront cette vidéo sont la preuve vivante de notre voyeurisme morbide. Pauvre Mabrouk, tu mourras de nouveau à chaque fois qu’un dégénéré partagera la vidéo de ton exécution.

 

Mabrouk, ta mort n’a pas arrêté le flux de médiocrité qui a fait oublier à certains que la vie humaine se respecte autrement que par les moyens d’en tirer profit après qu’elle soit fauchée. La pauvreté des tiens n’a pas empêché les âmes basses de chercher également du profit dans la détresse et dans le malheur d’autrui. Mais ne t’en fais pas, le pire dénuement est celui des âmes rapaces. Toute autre pauvreté, à cela comparée, est noblesse d’âme. Autrement Mabrouk, tes assassins ont fait de toi un martyr, nous avons fait de toi une chair à canon… un canon tourné vers nous-mêmes.