Alors qu’une marche de solidarité se prépare en France, quelques jours après les attentats sanglants ayant visé le journal satirique Charlie hebdo, les avis en Tunisie divergent quant à un positionnement clair par rapport aux faits. Entre le soutien et les justifications, oscillent les avis. « Je suis Charlie », « Je suis Ahmed », « Je suis Chourabi » ou Nadhir… la solidarité virtuelle fleurit et en dit long sur des polémiques fluctuantes se nourrissant de conflits idéologiques et politiques.

C’est le cas de la polémique ayant commencé hier suite à une information selon laquelle Netanyahou serait parmi les personnalités qui viendront défiler à Paris lors de la grande marche prévue pour ce dimanche 11 janvier 2015. Que Mehdi Jomâa y participe ne plait pas à beaucoup. L’accueil est d’autant plus virulent parmi ceux qui se positionnent foncièrement contre Charlie. La position hostile quant à un journal ayant défié nos interdits religieux prime au regard de ceux-là sur la position hostile à la violence. S’y ajoute l’argument politique « panarabique » pour révéler nos différences et parfois nos contradictions.

Mehdi Jomâa n’a pas à soutenir un journal qui a personnifié et caricaturé le prophète. Il n’a pas à marcher aux côté d’Israël quels que soit la finalité et le message à faire passer. La bataille semble donc être entre les convictions formelles et celles avec a priori. Elle est l’expression d’une divergence entre ceux qui sont foncièrement contre la violence et qui font de ce fait abstraction des différents a priori et entre ceux pour qui les a priori priment. « Oui je suis contre la violence mais je suis d’abord contre ceux qui portent atteinte à mes convictions », « oui je suis contre la violence, mais je ne défilerai jamais aux côtés des Israéliens »… Voilà ce que nous entendons autour de nous et lisons sur la toile.

Rappelons, par ailleurs, que parmi les victimes des attentats ayant eu lieu en France, il y avait des Tunisiens. Celui dont on parle le plus depuis hier est Yoav Hattab. Il s’agit d’un jeune tunisien âgé de 21 ans parti en France récemment. Des photos de Yoav ont circulé depuis l’annonce de son assassinat dans un hypermarché casher de la porte Vincennes. On le voit porter le drapeau de la Tunisie ou brandir fièrement l’index après avoir voté. Pour certains, Yoav est avant tout Tunisien. Pour d’autres, il est avant tout juif. Mais au-delà de la primauté du religieux ou de l’appartenance culturelle et géographique sur l’identité, il faut rappeler que c’est un Tunisien qui a été assassiné ce jeudi 10 janvier. Ce Tunisien a été là où il était au mauvais moment. Un acte anodin du quotidien lui a été fatal. Il a été victime du hasard mais surtout de son appartenance. Car Yoav n’a pas été assassiné par hasard, mais vraisemblablement, parce qu’il est juif, le lieu de l’attaque n’est certainement pas anodin et le choix du timing (un vendredi) non plus.

Le terrorisme a ciblé en cette semaine sanglante les « mécréants », la police qu’on désigne dans les milieux islamistes comme étant le « taghout » et les juifs. Ce choix est représentatif de la stigmatisation de certaines personnes dans la logique extrémiste qui voit, en eux, ses ennemis à abattre. Dans cette logique affrontant à coup de balles et de couteau la différence qui dérange, les extrémistes tentent en cette période politique instable de s’imposer, de conquérir une place et de gagner, par la force, une légitimité.

Installés dans le chaos libyen, au Mali ou au Yémen, les extrémistes religieux essaient de faire passer un message au monde entier afin de dire leur puissance et l’étendue de leur action. Du Châambi, à la Syrie, au Mali, au Yémen et même à Paris, ils agissent dans une harmonie déconcertante et leur action est le reflet effarant de réseaux installés et non visibles dans le monde digital et virtuel et dans celui réel et international.

Les extrémistes sont parmi nous. Leurs attaques et leurs communiqués en font état. Ils savaient à quelle heure se tenait la réunion de rédaction d’un journal satirique à Paris et savaient tout de Sofiene Chourabi ou du moins ce qui les intéresse. Dans un communiqué publié sur un site rattaché au mouvement islamiste au Maghreb, on lisait en réponse aux photos évoquant l’assassinat potentiel des deux otages tunisiens en Libye, une anecdote selon laquelle Sofiene Chourabi aurait bu du vin pendant le ramadan, qu’il se serait positionné du côté de Nadia Fani quand le film de celle-ci a suscité la polémique et qu’il a soutenu également la chaîne Nessma qualifiée d’être celle de la mécréance.

Ceux qui nous épient ont donc une marge d’avance sur ceux qu’ils visent. Loin d’être coupés du monde, ils sont ces citoyens qui estiment que la République ne les représente pas car trop éloignée de leurs idéologies voire de leurs idéaux. « Liberté, égalité, fraternité », « Liberté, dignité, justice, ordre » : autant de devises qui ne parlent aucunement aux fondamentalistes dont le seul crédo est de lutter pour l’islam et pour la mise en place d’une politique qui s’en inspire directement.

Tout ce qui diverge est ennemi, tout ce qui est autre est futile. Telle est la perception des fondamentalistes et de ceux qui font primer l’affront sur la violence qui se dit réponse à lui. Alors quand d’autres scandent « Je suis Charlie » et quand certains programment une manifestation en l’honneur d’un Tunisien juif mort sous les balles, ceux-là ne sont pas touchés par la cause et ne peuvent se sentir concernés par le soutien qui en découle. Loin de rassembler, la violence extrême a révélé de nombreuses scissions. Des lectures différentes pour un même fait et des réactions antagoniques quant à ce qui aurait pu être lu sans équivoque. Le constat ne doit pas être uniquement affligeant, il doit surtout être lu en profondeur et appréhendé d’un point de vue social et par le prisme politique. L’harmonie même dans la divergence est elle encore à la portée ? Une réponse est nécessaire pour pouvoir avancer.

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