2015, une année qui prend fin. Une année ponctuée d’événements pour une Tunisie qui continue, depuis 5 ans, à se muer en démocratie. Une année particulière pour un peuple qui a vécu le pire et qui aspire au meilleur. 2015, en 15 dates*, pour ceux qui de 2015 voudront se rappeler de l’essentiel.

 

Béji Caïd Essebsi à Carthage :

C’est le 31 décembre 2014 que la passation de pouvoir a lieu au Palais de Carthage entre un Moncef Marzouki sortant et un BCE fraîchement élu. 1 731 529 voix ont permis au dirigeant de Nidaa Tounes d’accéder à la magistrature suprême en incarnant l’anti-islamisme politique en période électorale. L’alternative que BCE avait représentée s’est avérée être, après la victoire, un simple calcul politique et le slogan du vote utile (pour que les voix des démocrates ne s’éparpillent pas), une ruse d’avant-vote. Une fois au pouvoir, c’est avec les islamistes que Béji Caïd Essebsi s’alliera. Les raisons de ce mariage « de raison » et d’ambitions sont connues de tous, mais ne sont toujours ni compréhensibles ni acceptables pour de nombreux déçus.

passation-du-pouvoir-entre-marzouki-et-beji-caid-essebsi

 

Gouvernement Essid, du mou et des remous :

La première copie remise par Habib Essid publiquement le 23 janvier 2015 a été abandonnée au profit d’une deuxième proposée le 3 févier. Après de longues tractations, des pourparlers, des négociations officieuses, il a été décidé d’inclure Afek, UPL et Ennahdha dans l’exercice du pouvoir. Cette décision qui n’a pas plu à tous les pro Nidaa a donné suite à deux versions de gouvernement. Il aura fallu trois mois, après les législatives, pour attribuer les portefeuilles et ajuster les responsabilités selon les partis politiques concernés. Un gouvernement Essid né dans la douleur et qui a encore du mal à faire peau neuve ; le remaniement annoncé depuis longtemps se fait encore attendre.

habb

 

Attentat du Bardo, le tourisme assassiné :

Le 18 mars 2015, le musée du Bardo, ce palais beylical retraçant l’Histoire de la Tunisie rentre de nouveau dans l’Histoire, mais d’une manière tragique. Vingt-qautre morts et 45 blessés, lors d’une attaque terroriste revendiquée par « l’Etat islamique ». Le 29 mars 2015, une marche contre le terrorisme est organisée. Plusieurs officiels étrangers ont pris part à cette manifestation de soutien à une Tunisie endeuillée à la suite d’un acte terroriste ayant visé le tourisme, un secteur vital qui a, depuis, du mal à reprendre vie.

attentat-bardo-ennahda-ghannouchi

 

La réconciliation entre projet politique et projet de loi :

Le 20 mars 2015, lors d’un discours prononcé pendant la cérémonie célébrant l’Indépendance tunisienne, Béji Caïd Essebsi a effleuré l ‘idée qui sera, par la suite, au centre d’une polémique nationale et internationale. La réconciliation du passé et de l’avenir pour garantir «  le droit de tous et ouvrir la voie à la contribution sérieuse à l’édification nationale grâce à la levée de tous les obstacles devant les hommes d’affaires ». Le président de la République réitérera à plusieurs reprises son attachement à ce qui est encore un projet de loi. Il insistera, à chaque occurrence, sur sa constitutionnalité et sur sa concordance avec l’esprit transitionnel qui caractérise la Tunisie d’après-révolution. A la demande de l’Instance de la Vérité et de la Dignité, la Commission de Venise rendra son avis consultatif à ce sujet. Un avis qui a fait l’objet de deux interprétations opposées : constitutionnelle ou anticonstitutionnelle, la réconciliation économique ne fait toujours pas l’unanimité. Par ailleurs, quatre des lois rejetées, le 23 décembre 2015, par l’Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des lois ont trait au projet de loi en question.

Beji-Caid-Essebsi-20-mars-2015

 

Ettaliani, la littérature tunisienne connue et reconnue:

Le premier roman de Chokri Mabkhout a été primé le 6 mai 2015 à Abou Dhabi. L’universitaire tunisien décroche ainsi le prix de meilleur roman arabe de l’année 2015. Ettaliani était en lice, parmi 180 autres ouvrages d’auteurs venant de 15 pays. Une consécration internationale pour la littérature tunisienne moderne et une reconnaissance pour ses faiseurs à une époque où seul le politique s’impose en vedette.

chokri-mabkhout-talieni-640x405

 

Mohsen Marzouk en N.1 aux Etats-Unis :

C’est la seule image marquante du voyage de BCE aux Etats-Unis : Mohsen Marzouk signant, le 20 mai 2015, un mémorandum d’entente avec le secrétaire d’Etat américain, John Kerry ; le président de la République, seul, en arrière-plan. La mise en avant de celui qu’on présentait jusque-là comme le fils spirituel de Béji Caïd Essebsi a dérangé. Sa symbolique et sa plausibilité juridique ont été pointées du doigt par les spécialistes et par les néophytes. Pourquoi Marzouk et pas l’homologue tunisien de John Kerry ? Pourquoi avoir mis le président de la République dans une posture pareille ? Un événement qui n’est pas passé inaperçu et qui aura marqué, pour ce ministre – conseiller, l’apogée et le point de chute de sa carrière aux côtés de Béji Caïd Essebsi à Carthage.

CFeC3AAUMAAlRUq

 

Accident de train à El Fahs, le prix de la nonchalance :

Une collision entre un camion et un train, le 16 juin 2015, dans le gouvernorat de Zaghouan, fait 18 morts et 100 blessés, le tout mis sur le compte d’une faute humaine. La SNCFT, comme le ministère du Transport, ayant écarté la possibilité d’erreur de leur part ou de défaillance au niveau de l’équipement de sécurité à l’endroit de l’accident. Pas de démission ni de limogeages, après cet accident resté sans suites. Paix aux âmes de ceux que la bêtise humaine aura tués.

18-morts-dans-un-dramatique-accident-de-train

 

Attentat de Sousse, un impact international :

Plage d’El Kantaoui, un 26 juin 2015. Un terroriste arrive tranquillement sur la plage, kalachnikov au bras et fait 38 morts et 39 blessés. Pas de Tunisiens parmi les personnes décédées, le terrorisme ayant exclusivement visé les touristes présents au tristement célèbre Hôtel Imperial. Cet attentat auquel ont fait suite de nombreuses réactions internationales de soutien a été le coup de grâce donné par les djihadistes au tourisme tunisien.

Attentat-de-Sousse-Recueillement

 

Rien ne va plus à l’IVD :

Zouhair Makhlouf, vice-président de l’Instance Vérité et Dignité a adressé une lettre à Mohamed Ennaceur, président de l’ARP, le 25 août 2015. Il y a exposé des fautes graves qu’il impute à Sihem Ben Sedrine, présidence controversée de ladite instance. Une dénonciation qui vaut à l’ancien activiste une éviction de son poste à l’IVD. Il sera réhabilité par jugement du Tribunal administratif, puis évincé de nouveau pour les mêmes raisons, à savoir violation du droit de réserve. La querelle Makhlouf- Ben Sedrine n’est pas une affaire personnelle, elle est la partie visible du malaise que provoque cette instance constitutionnelle devenue, par l’action de sa présidente, source de conflits au lieu d’être un organe de consensus.

47481

 

Mosquée Ellakhmi, point d’orgue d’une querelle politico-religieuse :

Depuis le 15 septembre 2015, date du limogeage par le ministre des Affaires religieuses de Ridha Jaouadi, la mosquée Ellakhmi où ce dernier officie est au centre d’une polémique nationale. La récupération des mosquées échappant au contrôle de l’Etat ne s’est pas passée dans le calme en ce qui concerne cette grande mosquée de Sfax. Alors que les lieux de culte semblent avoir joué un rôle important dans l’endoctrinement et l’embrigadement de jeunes pour des fins djihadistes, la mise à l’écart de certains imams s’imposait comme une évidence. Une décision qui n’a pas été du goût d’un certain Ridha Jaouadi dont la réputation est pourtant entachée par une affaire de mauvaise gestion, ni de celui de ses acolytes, ni même du goût de certains politiciens. Ennahdha, s’était, dans ce cadre, positionnée comme un parti d’opposition alors que la décision officielle l’impliquait directement en tant que parti au pouvoir. Deux nominations en remplacement de l’imam Jaouadi ont été refusées par les prieurs. La troisième semble susciter moins d’équivoques. Il s’agit de Abdel Aziz Loukil qu’on dit être un ancien cadre du parti islamiste.

Tunisie-manifestation-contre-le-limogeage-conteste-d-un-imam-de-Sfax_article_popin

 

Moez Ben Gharbia, une vidéo et des aveux qui ne viennent pas:

L’animateur-vedette et propriétaire d’une nouvelle chaîne de télévision a diffusé le 4 novembre 2015 une vidéo dans laquelle il promet de livrer, d’une manière imminente, un secret important. Il aurait eu, selon ses propos, accès à des informations graves au sujet des assassinats de Chokri Belaïd et de Mohamed Brahmi. Moez Ben Gharbia parti se réfugier en Suisse serait, selon ses propres dires, menacé de mort. Les propos de Moez Ben Gharbia n’ont pas laissé indifférents les Tunisiens qui n’ont toujours pas mis la main sur les coupables des meurtres des deux hommes politiques. Pourtant, une fois rentré en Tunisie, Ben Gharbia sera écouté par la police, et n’aura rien dévoilé, se cachant derrière un état dépressif.

moezbengharbia-592x296

 

Mabrouk Soltani décapité à 16 ans :

Le jeune berger soupçonné par des groupes terroristes d’avoir collaboré avec les autorités a été kidnappé puis décapité le 13 novembre 2015. Le corps de la jeune victime a été retrouvé par sa propre famille au lendemain du drame. Quant à sa tête, elle a été livrée à sa famille par le biais de son cousin qui avait été également kidnappé. Un réquisitoire télévisé mettant en vedette un autre cousin, Nessim Soltani, en l’occurrence, aura permis de mettre l’accent sur la misère sociale dans les villes défavorisée de Tunisie. Un drame qui a éveillé, momentanément, certaines consciences.

BN25218mabrouk-soltani1115

 

Le bus de la Garde présidentielle :

Le 24 novembre, une explosion à l’avenue Mohammed V fait 12 morts parmi les membres de la garde présidentielle qui s’apprêtaient à partir, en bus, vers le Palais de Carthage. Cette attaque terroriste quia frappé un symbole de la République à des centaines de mètres du ministère de l’Intérieur visait à mettre à mal l’autorité et à mettre en doute sa capacité à être le garant de la sécurité des Tunisiens étant elle-même atteinte. Depuis cet attentat, les forces sécuritaires ont multiplié les arrestations d’éléments djihadistes, les démantèlements de cellules terroristes et la mise en échec d’attentats planifiés.

144846405299_content

 

Nidaa Tounès en crise ; le pouvoir est une dure épreuve:

S’il fallait dater, d’une manière précise, le début de la fin de Nidaa dans sa version originelle, on citera la date du 1er novembre 2015. C’est en effet, en ce jour, que des violences ont lieu dans un hôtel de Hammamet, en prémices d’une guerre intestine entre deux clans rivaux issus de la même fratrie politique. Les adeptes de Hafedh Caïd Essebsi et ceux de Mohsen Marzouk ont scindé le parti au pouvoir en deux voire en 3 clans. Le mélange hétéroclite qu’est Nidaa n’aura pas su durer au-delà des élections et à l’approche d’autres enjeux électoraux et politiques. Malgré le rafistolage présidentiel, malgré le comité des 13 chargé de réconcilier les deux clans et d’arbitrer dans le cadre de ce litige, malgré la pression des Nidaïstes qui tiennent à ne pas voir leur parti se diviser, la rupture est annoncée et consommée entre Mohsen Marzouk et le clan du fils Caïd Essebsi. Trop dangereux, trop ambitieux, trop pressé, le secrétaire général démissionnaire de Nidaa Tounès a choisi une voie autre. Il n’en demeure pas moins surveillé de très près.

violencenida

 

La Tunisie prix Nobel de la Paix :

L’annonce a surpris puis rendu fiers l’ensemble des Tunisiens ou presque… Le prestigieux prix a mis sur les devants de la scène internationale l’effort du quartette dans le cadre du Dialogue national. Pour avoir assuré la transition politique en période difficile d’une manière non violente, Wided Bouchamaoui, Houcine Abassi, Ahmed Mahfoudh et Abdessatar Ben Moussa ont été primés, lors d’une cérémonie qui a eu lieu le 10 décembre 2015. A Oslo, les centrales ouvrières et syndicale étaient côte à côte alors que les négociations autour des augmentations salariales dans le secteur privé prenaient une tournure conflictuelle. Une querelle quasi personnelle qui ne prendra peut-être fin, d’une manière consensuelle, que lundi 28 décembre 2015. A retenti, lors de la cérémonie d’Oslo, 5 ans après, la voix d’une Amel Mathlouthi symbolisant, pour beaucoup, la révolution tunisienne par son hymne chanté a cappella à l’avenue Bourguiba en janvier 2011.

hqdefault

 

2015, une année qui prend fin. Une année au rythme de la République qui se renouvelle dans la difficulté et dans la joie. Que l’année 2016 vous apporte succès et satisfactions et soit pour la Tunisie, celle de la délivrance!

* Le choix des faits relatés dans cette rétrospective est subjectif et non exhaustif.