C’est au mois de ramadan que les chaînes tunisiennes se surpassent pour réaliser les taux d’audience les plus élevés. Productions audiovisuelles en nombre, feuilletons, émissions de divertissement, et produits en tous genres sont servis en ce mois du jeûne. Une surdose qui, outre l’aspect gavant, en dit long sur nous-mêmes.

Ce qui est censé être virtuel est un concentré de réalisme déconcertant. Il reflète dans un mimétisme parfait la situation du pays, ses passages politiques récents et ses maux les plus profonds. Vous voulez fuir la réalité à travers le petit écran ? Evitez les chaines tunisiennes. Vous avez envie de zoomer sur les travers de notre société, nos scénaristes en mal d’imagination vont vous rassasier.

Désormais, et sans que cela ne soit mentionné à l’écran, il faudra éviter de regarder en famille les émissions que diffusent nos chaines locales. Une quintessence de violence, d’obscénité linguistique et de comportements décalés est servie tous les soirs. Point de volonté d’occulter ce que notre société recèle comme travers. Mais l’une des vertus de la télévision est aussi de divertir et non d’être un simple miroir prenant pour base des trames virtuelles pour refléter ce que nous avons de plus laid.

Les émissions de téléréalité avaient banalisé des phénomènes sociaux lancinants, les ont exposés à un public familial pas forcément aguerri et les ont traités si mal qu’aucun bien ne s’en est dégagé. C’est au tour des productions télévisées fictives de prendre le relais. On y voit pêle-mêle, le terrorisme, la dépravation morale, le banditisme, la violence en tous genres, le tout sur fond de fictions un peu trop réalistes.

Les fictions en perdent de leur caractère premier faisant d’eux un moyen de fuir le réel. Ils en perdent de leur rôle cathartique car le réel, à force de lasser, ne touche plus mais exaspère ou laisse de glace quant aux malheurs les plus forts. Ce qu’attend un téléspectateur d’une fiction en temps de crise c’est l’offre d’un ailleurs attrayant car fictif. Ici, la règle a été inversée et c’est la réalité qui s’affiche à l’écran, un peu trop crue, un peu trop prosaïque.

Nous avons banalisé nos maux jusqu’à en faire un produit télévisé. Les politiciens sont devenus des stars du petit écran, les bandits sont devenus des héros et les vrais héros ont disparu. Notre télévision reflète fidèlement notre image et, en suivant en masse, les Tunisiens ont cautionné une production qui ne leur sied pourtant pas. Cette réalité étalée peut-elle avoir la vertu de nous faire voir autrement ce que, par habitude, nous n’apercevons plus ?

En théorie, cela pourrait être vrai. Mais ce qui est déplorable est de voir nos sociologues, nos psychologues, nos universitaires et nos chercheurs en les deux matières laisser leur place vide, en cette période délicate. Le relais est assuré autrement et avec une approche approximative tombant dans la banalisation. Nos maux sont commercialisés et nos malheurs emballés sont mis à la vente par les moins inspirés.

Ce qui est, toutefois, le plus frappant, ce n’est pas le traitement que font nos producteurs télé de nos phénomènes sociaux les moins beaux. C’est le fait que nous en ayons autant et qu’aucune autorité ne bouge pour faire changer les choses. On expliquera en plein prime time comment rouler un joint. On diffusera crument la violence physique. On bousculera les valeurs morales. Et on fera du commercial avec ce qui est pathologique.

Loin de jouer leur rôle de locomotive tirant ailleurs que vers le prosaïque un peuple englué dans ses propres malheurs et ses propres défauts, nos faiseurs de culture s’enfoncent dans le réel et en font une matière première unique. Les taux d’audience élevés les réconforteront dans leur choix et démentiront leurs détracteurs. La schizophrénie télévisée fera qu’on suive avec une fidélité quasi religieuse ce qu’on critique et qu’on apprécie quotidiennement ce qu’on dit honnir.

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