Trois photos partagées ces derniers jours traduisent, à elles seules, l’avenir politique tunisien. Mehdi Jomâa au marché, Mohsen Marzouk au mausolée de Sidi Sahbi et Rached Ghannouchi à la mosquée Zitouna. Une mise à exécution des ABC de la com’ dupliquée de trois manières différentes, c’est ce qu’on aura vu, à travers ces clichés. Trois protagonistes, donc, et non des moindres : le premier a été chef de gouvernement et aspirerait encore à un poste à la tête de la Tunisie. Le deuxième est perçu comme « le » candidat potentiel à la magistrature suprême. Le dernier est le chef d’un des mouvements politiques les plus influents en Tunisie. Celui qui peut faire basculer la balance vers l’une ou l’autre partie.

Sur les réseaux, les internautes ont partagé en masse la photo de Mehdi Jomâa achetant des pommes de terre. Pensait-on qu’un homme politique devenait un surhomme à la fin de sa mission ? Plusieurs Nidaïstes ont critiqué ladite photo prétextant y déceler une mise en scène maladroite. A-t-on vite oublié, par ici, que la communication politique est un véritable jeu d’acteur ? Ceux-là mêmes qui critiquent l’aspect travaillé de la spontanéité affichée de Mehdi Jomâa, en savent pourtant quelque chose sur l’art de faire comme si, en période préélectorale. On aura, du moins, appris que la mauvaise foi se fait, au besoin, désigner comme de la perspicacité et que nos propres travers ne sont pas beaux à voir, dès lors que c’est l’adversaire qui s’en empare.

C’est donc tout sourire, en short et tee-shirt, que notre ancien chef du gouvernement et potentiel futur président s’en est allé acheter des patates. Quoi de plus prosaïque ? Quoi de plus parlant ? Première brique d’une image qui prendra, petit à petit, forme, cette scène immortalisée et très partagée laissera, en les électeurs potentiels, l’impression d’un dirigeant simple, humain et semblable à eux. Un politicien est, avant tout, un homme et un homme en qui on se reconnaît. La stratégie est définie et le jeu ne fait que commencer. Celui qui fait encore cavalier seul est déjà l’un des hommes politiques en qui les Tunisiens ont le plus confiance (45,9% selon un sondage Sigma datant de mars 2015). La tendance est affichée et il part en position de probable gagnant. C’est peut-être pour cela qu’il dérange. Bon vent, Monsieur Jomâa !

Du côté de Nidaa Tounes, l’affaire est toute autre ! On évoquera la loyauté aux Etats-Unis de Mohsen Marzouk qui en est le secrétaire général et le probable candidat à la présidentielle. Sa photo lors de la diffusion de l’hymne national américain à l’ambassade des Etats-Unis en Tunisie fera jaser ceux qui y verront un signe explicite envers le pays de l’Oncle Sam. Une autre photo contrebalancera cet effet négatif. C’est celle d’un Mohsen Marzouk lisant quelques versets coraniques à un mausolée de Kairouan.

Que l’âme de Sidi Sahbi soit avec lui ! C’est ce que chercherait le potentiel futur président de Tunisie ? Un de nos plus grands militaires n’avait-il pas dit, lors d’une interview attendue à l’époque, que la Tunisie est préservée, grâce à ses saints ? Tellement tordu comme idée qu’à l’oral, on m’aurait à coup sûr, comprise autrement ! Quoiqu’il en soit, Mohsen Marzouk a bien compris cette aberration et a mis cela à exécution. Le prototype d’électeur le plus puissant en Tunisie n’étant pas celui qui se croit futé et qui passe son temps à scruter et à critiquer, en bon politicien, il aura compris que le message est à adresser ailleurs que dans cette bulle. A cette cible plus large, choisie stratégiquement et non par affinité idéologique, il est nécessaire de s’adresser régulièrement et avec les codes propres à elle, évidemment. C’est un peu ce que nous appelons, communément, populisme.

Plus d’antipodes donc dans cette politique tunisienne qui balançait, il n’y a pas longtemps de cela, entre laïcs et islamiques. Plus d’extrêmes, que des choix divers dans la communication et dans les messages. Mais le tout se complique, quand la cible de ces stratégies de communication n’est plus le peuple, ni la populace, mais la pseudo élite récalcitrante. C’est le cas de Rached Ghannouchi, lors de la prière avec le président de la République à la mosquée Zitouna, la nuit du Destin, celle que nos politiciens célèbrent comme on célèbre une circoncision, avec la famille élargie. Tous en habits traditionnels. On se croirait presque à un concours de « jebba ». La blanche, la beige, la marron, la rayée, la grise, la bleutée et le costume ! Cherchez l’intrus ! Il est bien visible : le seul à n’avoir pas respecté le « dress code » du concours du plus prestigieux homme politique en traditionnel tunisien !

Ah l’horreur ! Notre cheikh national était hier le plus moderne de tous, plus que Mohsen Marzouk et sa chemise Mc Gregor et sa prétendue Rolex (Nous ne l’avons pas vue de près, mais peut-être que celui qui en est connaisseur, un certain Nicolas Sarkozy de passage en Tunisie cette semaine, pourra-t-il attester que Monsieur Marzouk a bien réussi sa vie). Nous disions donc que M. Ghannouchi était plus moderne que les modernes. Ni marché, ni mausolée, ni conventionnalisme ! De l’air frais du côté du dirigeant d’Ennahdha, un air revigorant faisant du cheikh un sieur, un véritable rival politique jeune, « beau » (j’ai toujours cru en la relativité des choses et des êtres) et moderne. Que l’on soit cavalier seul, coéquipier caché ou déclaré, il est celui auquel s’allier est gage de réussite (car la réussite est quantitative et non qualitative, les expériences électorales récentes nous l’ont appris).

Trois photos ont marqué l’actualité ces derniers jours. Pas l’actualité bavarde, mais celle moins explicite et plus symbolique. Nos « people » d’un genre nouveau aiment les photos et les photos ça s’aime, énormément, sur les réseaux sociaux. Vecteurs d’une communication politique, elles visent à constituer l’image escomptée de ceux qui voudraient nous voir voter pour eux. Comme on lit l’avenir dans les cartes, on pourrait lire, dans ces clichés, l’avenir politique tunisien et ses prochaines échéances décisives : Mehdi Jomâa et Mohsen Marzouk qui rivalisent dans l’art de vouloir plaire au peuple et Rached Ghannouchi, celui qui voudrait tellement faire croire qu’il a changé. Cela ne pourra l’aider qu’à convaincre enfin ses détracteurs de longue date. Ses nouveaux amis et ses prochains alliés ont compris que le cheikh, en « djebba », en costume, barbu ou rasé de près, est utile pour une accession au pouvoir. Son positionnement pour l’un ou l’autre candidat aura un poids certain. Même MBJ l’avait compris à l’époque. Le Cheikh est la clé politique d’une Tunisie, tellement ambivalente que les camps et les idées se mélangent à souhait. Au diable, l’idéologie et les promesses ! En politique, il faut de l’image et une façade qu’on aura peinte au goût du jour.

On prie, on fait les courses, on se modernise. Chacun avance, comme il peut et comme son équipe le veut, vers des élections importantes qui détermineront le destin de la Tunisie et confirmeront la prédominance d’une alliance internationale particulière, selon le profil du candidat. Que le meilleur gagne ! Le meilleur futur président, non pas le meilleur acteur. Oui, tout se joue déjà et les vertus de la nuit du destin pourraient bien se poursuivre. Politiciens, cabotins, figurants, à vos flashs !

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