Les Tunisiens sortent de nouveau dans la rue 5 ans après la révolution. Qu’est-ce qui ne va pas ?

Cela fait cinq ans, en effet, que le Tunisien sait qu’il évolue dans le provisoire. Cinq ans de transition, trois présidents de la République, 5 chefs de gouvernement, des ministres par dizaines et autant de promesses électorales non tenues. Les lendemains meilleurs que les politiciens n’ont cessé de faire miroiter ont fini par ne plus séduire, voire par exaspérer.

Les Tunisiens, que la crise économique a éprouvés, ont atteint leur seuil de patience, comme les politiciens les plus appréciés avant ont épuisé leur capital sympathie.

Ajoutons à cela un malaise politique engendré par les derniers soubresauts nidaïens (de Nidaa Tounes, parti du président Essebsi, ndlr) qui ont malmené l’opinion publique dans le cadre d’une querelle partisane anachronique avec les préoccupations des citoyens. Non seulement Nidaa au pouvoir s’est montré inapte à résoudre les problèmes auxquels il avait promis de mettre fin, mais il s’est, en plus, affaibli en rendant publics ses propres problèmes. Autant de désenchantement ne pouvait être qu’un terrain favorable aux revendications et un terreau intéressant pour toute forme de manipulation.

Le gouvernement a-t-il réellement les moyens de faire face à cette grogne sociale ?

Aucun gouvernement n’a les moyens de faire face à cette grogne sociale. Les discours politiques ont beau le maquiller, les chiffres le disent explicitement : la Tunisie est en crise. Nous avons 15% de chômeurs. Notre taux d’inflation a atteint 4,7%. Le déficit budgétaire de l’Etat sera de l’ordre de 3,8% du PIB en 2016. Le taux de la dette publique atteindra 53,4% du PIB d’ici la fin de l’année. Contenter les chômeurs en créant des emplois ne peut même pas être possible sur le moyen terme.

Le pays ne supportera plus les décisions de rafistolage. Une réforme structurelle s’impose et une révision du modèle économique tunisien sera bénéfique. Quant à la crédibilité politique que certains manifestants pointent à coups de slogan, il faudra y répondre par une prise de conscience générale qui ramènera vers les postes de décisions et de réflexions des compétences et non des personnes nommées par complaisance partisane.

Y a-t-il un risque de débordements politiques ?

Le dernier remaniement ministériel n’a pas eu le temps de faire ses preuves et est déjà en très mauvaise posture. Le terrorisme est à l’état de latence. Les revendications populaires sont récupérées par des casseurs.

A cause des actes de violence et de vandalisme, un couvre-feu a été décrété. Certaines décisions annoncées par le gouvernement en faveur des villes concernées par le développement régional se sont avérées être fausses (le porte-parole aurait fait une erreur en énonçant la création de 5000 postes d’emploi à Kasserine, selon le ministre des Finances). Balbutiement, hésitation, faux pas et mauvaise communication. Nous sommes au bord du précipice, accrochés, encore, à l’espoir de voir venir enfin un signal positif de la part de nos dirigeants actuels.

En l’absence d’alternatives et dans l’impossibilité de dresser des perspectives autres — démocratiquement, du moins —, la Tunisie ne peut que retenir son souffle, appeler tous ses enfants au calme et à la patience, et espérer que le lendemain meilleur ne se fasse pas trop attendre. 

Propos recueillis par Ali Boukhlef

 

Pour lire l’interview publié dans le journal algérien Al Watan du 24 janvier 2016