Le client tunisien est l’un des sauveurs de la saison touristique 2015 ! Cela fera rire bon nombre de personnes exerçant dans ce secteur sinistré et voyant des vauriens indignes des services qu’on leur procure en ces locaux qui affluent vers les hôtels que les touristes ont désertés. Il n’y a pas si longtemps de cela, un article de presse dénigrait ouvertement les clients tunisiens. L’indignation des lecteurs s’étant massivement exprimée, l’article en question avait été retiré. La même idée a été formulée autrement par Mohamed Ali Toumi. « Le Tunisien est un client difficile», a déclaré, récemment, le président de la FTAV.

Pourtant, les annulations cumulées depuis les derniers attentats ne peuvent être comblées que par ces clients « de second ordre ». Depuis peu, des photos circulant sur la toile veulent démontrer l’incorrection du client local. Chambres en désordre, table jonchée de restes de nourritures… On voudrait prouver que ce prétendu sauveur est en fait un ravageur. Il serait sale, incivil, gaspilleur… Et quand bien même il aurait les moyens de se payer le service d’un 5 étoiles, il ne mériterait pas d’y être. De la pure ségrégation.

Alors pour repousser l’intrus, on pratique l’élitisme. Celui qui passe par les prix et qui n’est souvent pas le bon car éducation et argent ne vont pas forcément de pair. Celui qui s’intéresse aux prix dans nos structures hôtelières aura remarqué que très peu d’hôtels ont mis en place des réductions depuis les attentats de Sousse et la crise ayant frappé le secteur. Environ 200 dinars par personne pour un 5 étoiles, cela reste au-delà des bourses et le service souvent en deça des attentes. La faillite menaçante fait qu’au lieu d’évoluer, les services tendent à tirer vers le bas. On tente de se maintenir sur pied au moyen de solutions « pare-crise » nuisant à l’image du secteur : recrutement de personnel saisonnier non qualifié, révision à la baisse des services prodigués dont ceux en relation avec la propreté et la nourriture…

S’il y a une baisse à faire ce n’est point au niveau de la qualité mais au niveau des prix et des prétentions. Nos 5 étoiles méritent rarement leur classification. Le service est très souvent trébuchant et maladroit. Et le hiatus entre la quantité de marbre qu’il contient et le manque de professionnalisme qu’il recèle fait que, du côté du client, l’insatisfaction est souvent présente. On y côtoie simultanément le luxe opulent et la médiocrité du service. On y dépense des milliers de dinars et on est encore reçu selon une définition de « mérite » basée sur des critères discriminatoires.

Le tourisme tunisien tel que conçu dans les années 80 est, incontestablement, à reconsidérer. Dans son livre La Société de Consommation, Jean Baudrillard écrivait « Les besoins des classes moyennes et inférieures sont toujours, comme les objets, passibles d’un retard, d’un décalage dans le temps et d’un décalage culturel par rapport à ceux des classes supérieures. Ce n’est pas l’une des moindres formes de la ségrégation en société « démocratique ». ». Ceci pourrait aider nos hôteliers à comprendre le décalage entre la clientèle qu’ils voudraient viser par leur prix souvent exorbitants et les attentes d’une clientèle locale moins fortunée que celle ciblée et pourtant consommatrice à souhait. Les exigences ne sont donc plus les mêmes. Le client a changé et ce qu’on peut lui offrir aussi.

La Tunisie qu’on qualifiait de « verte » est désormais flétrie, ses rues sales avec leurs lumières à demi-teintes dans les zones les plus touristiques sont loin d’être des atouts pour la destination qu’on voudrait relancer. Il y a quelques jours, un vol arrivant de Paris a été dévié par Djerba après l’annulation d’un vol initialement prévu pour cette ville touristique qui ne désemplissait pas l’été. Le vol pour Tunis avait duré plus de 5 heures alors qu’il n’était censé prendre qu’un peu plus de 2 heures. Le souci d’économie et de rentabilité était passé ce jour-là avant le respect du client, des engagements pris et de l’image du tourisme et du pays. Ce vol miséreux vers Tunis est à l’image du secteur touristique qui pour survivre ne voit à la baisse que la qualité de ses services.

Pour apprivoiser de nouveau le client étranger et ne pas rebuter le local et parce que l’Etat ne pourra pas soutenir continuellement ce secteur sinistré car sinistré, il n’est pas le seul à l’être, il faudra que des considérations soient prises pour sauver le tourisme tunisien sur les moyen et long termes. Ce qui attirait il y a des dizaines d’années attire beaucoup moins. Le client cible du tourisme de masse a changé. C’est peut-être là le décalage entre les attentes du client local et celles de l’hôtelier, entre la crise qui frappe et les prix qui ne baissent pas ou trop peu.

Face à ce décalage, des alternatives sont nées. Le nouveau marketing du halal a investi le secteur touristique et la niche est bien porteuse, avouons-le. L’existence à Monastir d’un hôtel réservé aux pratiquants fervents a étonné. Cela a été le cas pour les hôtels affichant une interdiction aux célibataires et d’autres n’acceptant d’accueillir que les plus de 16 ans. Discrimination, oui, mais une discrimination qui se veut créneau spécifique susceptible de bien viser pour mieux atteindre. Alors que d’autres utilisent les tarifs comme moyen de « sélection », cela continue à susciter l’indignation. Ce sont pourtant des réponses « pragmatiques » pour ce secteur souffrant. Car le secteur souffre, en effet, de prétention injustifiée, de médiocrité non assumée en plus des problèmes financiers apparents que les plans de sauvetage superficiels ne sauraient réparer.

Le Maroc l’avait mis à exécution il y a de cela quelques années, la diversification de l’offre est gage de survie. Le client tunisien que les hôtels n’attirent plus faute de sécurité, de qualité de service, d’offre satisfaisante se rabat sur le secteur informel des locations balnéaires. Un secteur qui pourrait être canalisé et rentablement contenu par des plateformes communautaires de location de logements à l’image de « Airbnb ». Dans le monde, cela devient la tendance en terme de tourisme. Les quelques maisons d’hôtes existant en Tunisie ont affiché, à leur tour, complet, depuis des semaines. Les prix ne différant pas de ceux des hôtels, mais le service personnalisé et de qualité attirent ceux que les hôtels n’attirent plus.

Le tourisme tunisien est frappé par une donnée internationale et une plutôt nationale : la première est à étudier pour sauver le secteur dans les prochaines années, la deuxième est à assumer au moyen d’une approche immédiate. Accepter le local en n’omettant pas qu’on n’est plus à son apogée et réfléchir à attirer l’étranger une fois la crise passée en n’oubliant pas que les exigences ont changé. C’est peut-être là la possibilité de bonnes vacances et de bonnes saisons.

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