Enfin clos le congrès d’Ennahdha, le dixième, celui qui survient après des décennies de vie commune entre la Tunisie et la pensée politico-islamique, décennies houleuses et une relation plus stable désormais.

Un congrès en grande pompe, donc, comme pour célébrer les cinq ans d’activisme politique public, après des décennies de clandestinité, d’exil et de traque.

Ce parti qui, au sein de ses structures, a noué avec la démocratie est, à l’échelle nationale, de plus en plus solide.

Son congrès, on en parlait longtemps avant et on en parlera longtemps après. Il faut dire que la rigueur politique, en Tunisie, c’est assez rare. La rigueur partisane, on ne l’a connue que par excès de zèle ou abus d’autorité.

La discipline du parti islamiste au pouvoir, l’organisation de ses adeptes, les échéances importantes réglées comme du papier à musique, cela surprend et laisse perplexe. A en faire envier les partisans frustrés des partis dits démocrates, qui peinent à s’identifier à ceux qui sont censés les représenter politiquement!

Si cela n’est pas voulu comme une démonstration de force, ça l’aura été, en définitive.

Le parti islamiste qui se veut désormais civil a offert à ses fidèles, aux officiels, aux concurrents politiques accessoirement alliés, aux Tunisiens et même à l’étranger qui scrute l’islam politique de près, un spectacle grandiloquent qui en dit long sur ses capacités et surtout sur son potentiel.

Le parti sorti gagnant des dernières élections et qui avait pris Ennahdha pour allié au pouvoir en perdrait presque sa primauté, en matière de communication et d’image. Presque? Gardons cela relatif, peut-être aurait-on droit à un sursaut même furtif.

La dialectique Ennahdha et Nidaa, le gagnant et le perdant, le conservateur et le progressiste, l’islamiste et le bourguibiste, enfin réconciliés autour du trophée Tunisie n’est pas sans rappeler la fable de La Fontaine et sa morale ô combien instructive et prédicative:

Ne nous associons qu’avecque nos égaux ;
Ou bien il nous faudra craindre
Le destin d’un de ces Pots.

Nidaa s’est réuni aussi ce weekend, à Tabarka, sans spectacle et sans spectateurs, non pas autour d’un leader mais d’un éventuel futur leader, en l’occurrence Youssef Chahed ministre des Affaires Locales.

A l’ordre du jour, entre autres, les élections municipales.

Prévue pour 2017, cette échéance élective est hautement politique et sera déterminante pour l’avenir des partis sur le court terme et pour les carrières des uns et des autres sur le long terme.

Rached Ghannouchi président de la République à l’avenir, une fois son parti bénéficiant d’une assise légitime, une fois sa perception comme figure consensuelle admise, une fois Ennahdha devenu parti national et non islamiste, une fois le bleu emblématique changé en rouge.

Nidaa à deux têtes n’y pourra plus rien. Stratégie politique et amateurisme politique obligent.

Les observateurs l’auront, toutefois, compris, pour Ennahdha ce ne sont pas les carrières qui importent mais le groupe et la pensée collective. Tous oeuvrent pour ce but commun.

Que le meilleur gagne la partie, c’est cela le jeu démocratique. Que le gagnant épargne la patrie, c’est cela la noblesse du jeu.

Les petits pots dans les grands, le parti de Rached Ghannouchi fait peau neuve pour affronter un avenir politique plus ambitieux qu’il ne l’a jamais été.

Le rêve du parti sorti de la clandestinité et désormais sous les feux des projecteurs est on ne peut plus réalisable.

La figure de son leader reconduit à la tête du parti a gagné- et on travaillera encore à la faire gagner- en crédibilité dans l’objectif d’un jour J.

La mutation est en marche au sein d’Ennahdha, comme à sa marge, dans les structures inhérentes au parti comme face à la masse.

Une masse électorale faite d’opposants de plus en plus sans teneur, de sceptiques sans alternatives et de conquis que l’on continue à prêcher comme pour les rassurer sur l’avenir du parti sur lequel ils ont depuis longtemps misé.

Il n’en demeure pas moins qu’Ennahdha version 2.0 n’est pas tout à fait réconcilié avec son avenir, du moins celui qu’il vise- ou dit viser.

Le parti qui se veut démocrate par sa manière de se gérer et d’appréhender son propre leadership a réélu à sa tête Rached Ghannouchi avec un taux de 75%. Point de changement majeur donc.

Le chef reconduit reste la figure phare de ce parti qui s’offre un lifting très partiel.

Pas de montée en puissance des femmes d’Ennahdha (10% environ des membres de Majles Choura), pas dans les structures décisionnelles, mais juste disposées, dans le sens de la parité, en avant-boutique.

Quant aux jeunes, ces chevilles ouvrières, qui constituent l’avenir et seront l’essence de la réelle mutation à venir, ils ne sont toujours pas très visibles à l’échelle nationale ou trop peu.

Leurs aînés, les militants d’avant-révolution, n’ont pas encore tout dit et l’ouvrage décennal, ils en sont encore les maîtres et les garants.

Tant que la scène politique nationale est en chantier, le travail stratégique est encore de mise et les cartes à jouer encore à l’abri des regards. La mise est importante et l’enjeu l’est encore plus.

Ennahdha l’a bien compris et travaille en fourmilière pour. D’autres ne font que bourdonner.