Il faut dire que l’on en attendait beaucoup, beaucoup plus que ce qui n’a été dit. BCE face au peuple tunisien via écran au Palais des Congrès, cela était susceptible de faire revenir le citoyen tunisien vers l’ère Bourguiba, celle des grands discours et des prises de parole attendues.

Et on l’a attendu une semaine entière ce discours, après une annonce bourguibienne aussi: « le Chef de l’Etat s’adressera à la Nation mercredi 10 mai », avaient relayé certains médias et autres proches de Carthage, il y a de cela plusieurs jours.

Un teasing qui a mené bien loin un peuple tenu en haleine par une morosité ambiante et une tension digne de celui qui se sent au bord du précipice. Entre les pistes d’un référendum en lien avec la polémique réconciliation et celle d’un changement potentiel de régime politique, de nombreuses personnes ont oscillé, avant d’être face à leurs écrans aujourd’hui.

Plusieurs points saillants marquent ce discours qui s’est voulu historique: l’attachement affiché aux acquis de la Tunisie y compris ceux obtenus par les voies démocratiques, l’attachement confirmé au projet ayant trait à la réconciliation et l’implication de l’armée dans le cadre de ce qui pourrait mettre en péril les richesses du pays (phosphate, pétrole…).

Pas de mouvement de table rase donc, malgré les vraies fausses polémiques successives en relation avec le rendement de certains ministres. Pas de retour quant à l’obstination relative à la loi de la réconciliation, celle -ci étant présentée comme le moyen de faire sortir le pays du fameux « goulot » bloquant. Pas de laxisme face aux manifestations, certes tolérées, mais qui, dans certains cas, prennent des formes de prise d’otage à aspect social et économique.

Face à cela, plus de ministres dépêchés sur place, plus de chef du gouvernement annonçant des batteries de décisions, mais…l’armée. Un coup de pouce pour le gouvernement en place, en somme, pour en faire le gant de velours qu’on dotera d’un bras de fer « sécuritaire ».

La « restructuration » du ministère de l’Intérieur annoncée aujourd’hui ( et qui fait probablement suite au Conseil de sécurité qui a eu lieu il y a quelques jours) visera, dans ce cadre, à ne pas épuiser les troupes à qui on attribue un autre champ de bataille, encore un!

A côté de tout cela, un clin d’oeil adressé au passage aux « comploteurs », ceux-là la présidence ne les a même pas conviés (doit-on entendre outre le parti de Marzouk, de Hamma, de Abbou… le clan nouvellement formé de Mehdi Jomâa?). Un autre clin d’oeil à Rached Ghannouchi en rappel des accords moraux conclus entre les deux hommes et visant à préserver le pays et non les partis respectifs. Un dernier clin d’oeil à l’administration, pointée du doigt pour son rythme au ralenti freinant, dans sa cadence basse, les investissements étrangers.

Entre ces messages jacents et ceux sous-jacents, les observateurs sont restés sur leur faim. Non pas parce que les propos présidentiels avaient des airs de discours de campagne électorale ou des airs de déjà vu. Non pas que l’apparition était de trop puisque, rappelant le contexte, nombreux étaient ceux qui pointaient la non-implication du président de la République. Mais sur leur faim, parce que l’annonce a été un peu trop pompeuse, un peu trop en avance, un peu trop propice aux scenarii les plus extrêmes.

A-t-on noyé volontairement le message? A-t-on revu le discours présidentiel après l’annonce de la démission de Sarsar de la présidence de l’ISIE? Des questions qui se répètent après un discours qui a rendu perplexes ceux qui attendaient d’être éclairés.

Statu quo donc, un brin de fermeté en plus et par le bras le plus symbolique du pays. Pourvu que cela ne mette pas à mal un des organes les plus vitaux et les plus épargnés jusque-là: l’armée nationale.

Les confrontations entre forces de l’ordre et protestants risquent, en l’absence d’une action autre, d’étouffer un mal qui continuera de ronger, de l’intérieur, l’intérieur même de la Tunisie. Et, sans des forces composant les-unes avec les autres, loin des enjeux électoraux et autres projets occultes, ce pays ne connaîtra pas de répit.

Peut-être n’avons-nous que peu de choses à attendre d’un discours présidentiel au final: Rappelons-nous que le premier salut vient de nous -mêmes et qu’insulter un président, saboter des ministres (qui se sabotent déjà suffisamment eux-mêmes) ne fera que plus nous enliser. A force de nous laisser aller vers le fond, le plus doué des politiciens ne saura nous sauver. L’ère des sauveurs est finie!