Quoique épinglé à plus d’un niveau sur des sujets de fond, le parti Ennahdha a, jusque-là, été souvent plus performant que les autres partis, en matière de communication et de rigueur dans la gestion de son image. Un hic de taille a, cependant, eu lieu, ce weekend : la mort de la sœur de Rached Ghannouchi! Evénement tragique certes, mais personnel sorti de la sphère de l’intime et projeté dans le cadre public par Ennahdha et par ceux qui ont fait, de la mort, une information.

Lorsque la nouvelle est tombée, les différentes pages du mouvement islamiste, mise en place pour relayer les informations relatives au parti et à l’activité de ses membres, ont publié un faire-part de décès annonçant la mort de la sœur du leader Rached Ghannouchi. L’excès de zèle a commencé, ensuite, à opérer et M. Ghannouchi, lui-même, s’est prêté au jeu des caméras.

Le parti a, en effet, rendu publiques des photos de ce qui a été présenté comme une cérémonie consacrée à la présentation des condoléances au leader d’Ennahdha. Une série de prises de vue a été partagée. On y voit défiler des personnes connues et moins connues du parti islamiste, serrant la main du « cheikh », l’embrassant, l’enlaçant, dans l’ambiance feutrée d’un hôtel de Gammarth, là où s’était tenu aussi le Majlis choura du parti.

Ennahdha, à travers ses pages, dont celle de Rached Ghannouchi, a aussi diffusé une photo du Cheikh enterrant sa sœur. En habits allégés pour l’occasion, on le voit en pleine action, portant la dépouille de la défunte, elle aussi du coup filmée.

Outre les photos, le parti islamiste est allé jusqu’à publier une vidéo dans laquelle Rached Ghannouchi prononce une oraison funéraire lors de l’enterrement de sa soeur. Y est visible l’émotion du Cheikh récitant des versets de Coran et des prières pour la défunte.

Rached Ghannouchi a donc choisi, volontairement de s’exposer et de présenter en spectacle, sur les réseaux, ce que d’autres auraient empêché de diffuser. Nombre de personnalités luttent, en effet, contre la publication d’images relevant de leur vie privée et luttent au quotidien pour que celle-ci soit préservée. Se disant pourtant proche des valeurs de l’Islam, Ennahdha n’a même pas manifesté d’égard à la défunte et a instrumentalisé le supposé triste événement de sa mort pour des visées politiques. A travers cela, se rend plus perceptible le culte voué aux personnes au sein de certaines structures politiques où c’est l’attachement aux valeurs qui devrait primer.

Partant certainement du principe que le mouvement islamiste est une sorte de communauté, le parti, à travers ses cellules de communication, a choisi de couvrir cet événement en le « dé-couvrant » de son aspect intime. Une occasion pour donner à l’image du Cheikh une dimension humaine, loin des guerres politiciennes et de le montrer sous l’image d’un père de famille autour de qui tout un parti gravite, y compris dans le malheur.

Un spectacle inhabituel qui s’oppose aux standards de discrétion en la matière et qui contribue à la starification du Cheikh, non pas à travers une image de force, mais par le biais d’une attitude exploitée dans une dimension cathartique. Le but était sûrement, tout excès de zèle mis à part, de travailler l’aura du leader islamiste.

C’est que Rached Ghannouchi dispose déjà d’une aura conséquente auprès des siens et même des autres. Ceux qui le critiquent sur les réseaux, ceux qui le dénigrent sur les plateaux télévisés, ceux qui scandent des slogans à son encontre lors des manifestations, ceux qui abhorrent Ennhadha et, à travers elle, ses valeurs et son leader. Et pourtant, en sa présence, l’animosité disparaît, cédant la place non pas au respect et à la cordialité, mais à une vénération déconcertante, donnant des attitudes des plus dociles aux opposants les plus farouches. Lors de la cérémonie organisée par la Chambre de commerce tuniso-américaine la semaine dernière, nombreux ont été ceux qui se sont ingéniés pour prendre la pose aux côtés de Rached Ghannouchi, pour lui serrer la main et lui dire une flatterie.

Une des photos a même été partagée par une des pages d’Ennahdha. Elle était accompagnée de ce qui suit : « Ils le détestent en privé et en public, ils l’accusent d’être un criminel, un terroriste et un traître et pourtant quand ils sont devant lui, ils deviennent muets, ils rivalisent entre eux pour lui serrer la main et avoir de lui un sourire, pour parler avec lui, pour avoir, de lui, un sourire… ».

Rached Ghannouchi a été, dans l’image tunisienne commune, comme d’autres leaders islamistes aujourd’hui personnages politiques, la concrétisation de la phase d’émergence du terrorisme religieux en Tunisie dans les années 80. Diabolisé par le régime répressif de Ben Ali, il a été blanchi par la révolution qui a ramené au pouvoir son parti comme une alternative « pieuse » à un système jugé corrompu. Quelque peu déshumanisé par le jeu politique et le travail pour l’accession au pouvoir, Rached Ghannouchi retrouve, par le biais d’une démarche dont les travers ne sont pas à démontrer, une image chargée d’émotivité où l’alchimie détonante entre le public et l’intime est mise en application au service de la communication politique.

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