La course à la présidentielle est ouverte, depuis hier. Les premiers à s’y être inscrits sont Hechmi Hamdi et Larbi Nasra. Les autres candidats en lice, même les opposants de longue date, n’en ont pas fini de parachever les détails de leur projet d’avenir. Collecter les signatures auprès des élus ou des citoyens, faire les dernières retouches à leurs programmes médiatiques et politiques, prendre les devants, en se choisissant, sur l’échiquier politique, des alliés, assurer ses arrières pour se protéger de ses ennemis ; consensus, guerres internes, désaveux, de quoi s’emmêler les dossards… A vos marques, prêts, partez !

Alors que d’autres figures politiques novices et confirmées en ont à peine fini de s’entretuer pour figurer en haut des listes électorales pour les législatives, d’autres entament, tout juste, le dernier sprint vers Carthage. C’est que le trophée, à l’arrivée, est assez tentant quoique le passage d’Ennahdha par le pouvoir ait réussi, quelques années après, à vider le poste présidentiel de ses prérogatives et à le dénuer de son aura. Certains espèrent redonner à la présidence sa grandeur en l’investissant, d’autres espèrent y puiser le pouvoir nécessaire pour accomplir leurs desseins ou ceux de ceux qui les y propulsent.

Parmi les candidats, il y a des anciens ministres. Ceux-là sont les plus expérimentés dans l’art de gouverner, de s’entourer et de diriger une structure élargie de collaborateurs et, accessoirement, de concitoyens. Cependant, ceux-là ont un discrédit de taille : Le président de 2015 n’est pas celui de l’avant 2011 et le peuple, à son tour, a bien changé. Pourra-t-on donc faire du neuf avec du vieux, toute allusion à l’âge étant mise à part ?
Il y a aussi ces politiciens de la nouvelle vague, ceux qui ont pratiqué la politique, mais en théorie et qui, après la révolution, se sont inscrits dans la mouvance de ceux qui veulent sauver la Tunisie, un projet facile à dire et dur à mettre en place. Moins facile aussi est d’en convaincre des électeurs blasés par la politique du « ça ira mieux demain ».

Entretemps et en attendant ce lendemain meilleur qui tarde à venir, c’est une classe politique qui se démarque par sa goujaterie qui investit la scène. L’invasion des « bleus » en politique a atteint des proportions telles que l’on compte comme candidats, les Hechmi Hamdi , Bahri Jelassi, Leïla Hammami, Larbi Nasra… Autant de « politiciens du dimanche » qui ont envie d’apprendre la politique en dirigeant tout un peuple et d’affûter leur connaissance de la Tunisie, pour ceux qui en vivaient loin, en en étant aux commandes. Parmi ceux-là, l’on retrouve des figures aux atouts souvent artificiellement grossis et aux égos, outrageusement surdimensionnés.
Beaucoup de bruit, en somme, autour de candidats au profil incongru et peu de candidats avec une certaine « normalité ». Car la normalité, en ces temps où vie privée et vie publique se chevauchent, n’est pas d’être conforme au groupe, d’avoir ses mêmes craintes et de se soumettre aux mêmes contraintes que lui, de se distinguer en bravant les codes et d’afficher ses goûts en matière de choix de voiture ou encore de théoriser sur l’âge de mariage des fillettes, ce n’est pas de chanter à la télé, ni d’exhiber son excentricité. Le charisme politique et l’aura présidentielle, et les contre-exemples en Tunisie et bien ailleurs l’ont prouvé, ne sont pas le fruit de la normalité ostentatoire, ni de l’extravagance frappante.

Comme se présentant à un concours de miss, tous espèrent arriver premiers à cette course à la présidence. Une course à en perdre haleine pour conquérir la belle et s’improviser président d’une Tunisie en mal-être que les promesses d’avant-élections ne sauront plus convaincre. Combattre la pauvreté, instaurer la sécurité, accomplir ce que voulaient les martyrs… même le pire cabotin aurait compris que la démagogie est, ici, passée de mode.
Le désir de certains de voir renaître une dictature susceptible de canaliser le flux de démocratie qui nous submerge, la politique des « sans politique », cette soif de liberté enfin assouvie et déjà suffocante, sans l’emploi promis, sans l’argent qu’on en gagne, sans le brin de dignité qui va avec … Tout cela amènera des votes par dépit et des désistements par milliers. Tout cela amène déjà ces politiciens du troisième type et fait que la Tunisie sortira haletante d’une course pour le poste aux allures de course poursuite.

N’avaient pas menti Moncef Marzouki et autre Sihem Badi quand ils parlaient de gâteau à partager en évoquant, dans une parabole aussi triviale que révélatrice, la Tunisie. A voir la gloutonnerie de ceux qui s’attaquent à un morceau bien plus grand que leur bouche, l’impudence de ceux qui tiennent des discours flirtant avec l’indécence, l’indécence de ceux qui ne savent pas tenir un discours, la suffisance de certains candidats et d’un peuple qui, au nom de la démocratie ne les discrédite toujours pas, l’on ne peut que serrer les coudes en espérant que, sur la ligne d’arrivée, ce soit le meilleur qui gagne.

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