Ce 2 décembre 2014 marquera, à coup sûr, l’histoire tunisienne car, en ce jour, a débuté l’ARP, cette assemblée des représentants du peuple qui siègera au Bardo, 5 ans durant. Ce matin, sous l’hémicycle du Bardo, l’émotion était plus que palpable. Elle coulait sur les visages de nos figures politiques et prenait des formes plus étouffées dans les gorges serrées de certains présents. La représentativité prend avec cette assemblée une dimension « nominative » explicite. 217 représentants du peuple seront notre voix pour dire non ou pour acquiescer, pour débattre ou pour contrer, mais, nous l’espérons, pas pour faire les pitres !

Ne cherchons pas, parmi les nouveaux élus, la Ben Toumia citant ses poésies en pleine plénière, ne nous dispersons pas à chercher de trouver, parmi eux, l’équivalent d’un Brahim Gassas qui, comme un titan en cage, hurlait des sornettes, n’essayons pas de trouver, entre eux, l’alter ego d’un député se disputant avec une autre, pour un cahier qu’il lui aurait volé. L’extravagance de ces anciens élus et d’autres n’a surement rien d’égal ! Loin de toute stigmatisation superficielle et probablement tendancieuse, il en existe, en revanche, une autre. En voici une première esquisse :

– Les prem’s : Hommes d’affaires réputés, femmes d’affaires fortunées, jeunes débutants en politique… Qu’ils viennent du nord, du sud, de l’est, de l’ouest ou même d’outre les frontières, ils sont ravis d’être là ! Ils balbutieront à leur première intervention peut-être, leur trac sera visible au premier direct, mais ils auront un capital sympathie, jusqu’à la première prise de position qui dérange, ou jusqu’à l’absence de prise de position attendue. Parmi eux figurent, surement, des premiers, des seconds ou même des troisièmes noms rajoutés, des fois, sur les listes électorales pour des raisons autres que la compétence. Les prem’s, il y en a qui brilleront par leurs qualités, il y en a qui brilleront par leur manque de pertinence, il y en a, certainement, qui ne brilleront que par leur absence !

– Les redoublants blasés : Ces heureux redoublants ont été élus de nouveau et auront connu les deux assemblées : celle constituante et celle représentante du peuple. Ces élus d’un autre genre connaissent le décor et son envers. Ils connaissent la prise de parole, son art et son travers, ils connaissent les angles de prises des caméras de l’hémicycle filmant leurs moindres gestes et les réactions des internautes qui en découlent. Ils connaissent les lobbys et leur utilité pour se faire une idée sur ce qui se passe au-delà du Bardo. Ils connaissent beaucoup de choses mais sont surement vexés quand on ne les reconnaît pas et quand leurs noms sont écorchés par des nouveaux ne les connaissant pas. Comme des redoublants au fond de la classe, ils observent. Entre eux, les relations ne sont pas à refaire. Mais avec les nouveaux venus, tout est encore jouable, pour une alliance, un bloc, un déménagement parlementaire et idéologique ou plus si affinités !

– Les vieux amis : Un Ali rappelant à un autre le casse-croute mangé, à deux, sous un arbre en prison ! On l’aura vu, en ce jour inaugural, où étaient, l’un face à l’autre au Bardo, Ali Ben Salem, doyen des militants tunisiens et Ali Laârayedh, ancien islamiste emprisonné à perpétuité. Ces élus, vieux amis, ont retrouvé, dans ce moment d’émotion contagieuse, des souvenirs des années de braise où ils combattaient pour la même cause. Des retrouvailles émouvantes entre vieux opposants qui marquent le passage historique que nous connaissons et qui rappellent la légitimité acquise, en cette période d’après-transition politique, par ceux qui étaient actifs politiquement quand cela était un réel acte de bravoure. Entre ces vieux amis, les divergences idéologiques se manifesteront, certainement, un jour ou l’autre. Ces choses-là nous n’y penserons pas aujourd’hui, la beauté du moment dépasse les tensions, même celles latentes.

– Les nouveaux ennemis : Parce que les causes des uns et des autres diffèrent désormais, il y avait aussi, au Bardo, aujourd’hui, les nouveaux ennemis ; ceux que les divergences des buts rebutent les uns des autres. Pour les reconnaître, il suffit de les voir. Leur seul regard en dit long sur tout ce que, les uns pour les autres, ils ont sur le cœur. Ils sont peu à l’aise, cherchent la moindre occasion pour s’opposer à ceux qui les dérangent. Ils seront certainement l’os coincé au niveau de la gorge et peuvent désormais être perçus comme les caciques de l’ancien régime (pas l’ancien de Ben Ali, mais l’ancien de la Troïka). Nos nouveaux azlem voient déjà mauve ! Mauve ecchymose d’un échec un peu trop brutal.

– Les révolutionnaires, les vrais : Ils incarnent véritablement la révolution et ils ont dû attendre trois ans de ballotage voire de marginalisation pour être là où ils seront pendant 5 ans. Ils sont les figures illustres des mouvements protestataires et les chefs de file de courants d’idées ayant fait déchoir deux régimes celui du président Ben Ali et celui de la Troïka. Ils sont l’expression d’une page qui se tourne. Pourvu que leur rendement soit à la hauteur de l’image que, d’eux, nous avons !

Exit les Ligues de protection de la Révolution et ses noms tristement célèbres, la révolution a retrouvé ses vrais défenseurs et la Nation leur a été reconnaissante pour tous les sacrifices que pour elle ils ont concédés. La scène politique n’en sera que plus épurée et l’Histoire mettra en marge ceux qui n’ont fait que la salir. Exit aussi le révolutionnisme revanchard qui prend la forme d’un discours haineux divisant, en deux, les Tunisiens.

Le casting de nos nouvelles stars semble, en somme, réussi. Ces élus seront notre image sur écran et sur les plateaux, pendant cinq ans. Ils représenteront nos idées, nos aspirations et nos différences. Pourvu qu’ils sachent cohabiter et être habités, dans leur mission à venir, par nous, ce peuple dont ils seront, nous l’espérons, les dignes représentants.

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