Dans sa lutte pour faire sortir le tourisme tunisien du marasme qu’il connaît depuis quelques années déjà, Amel Karboul, nouvellement ministre du Tourisme, se fait bien remarquer. Une attitude innovatrice, un discours souvent décalé en comparaison avec celui auquel nous étions habitués, une décontraction déconcertante pour certains, originale à souhait pour d’autres … Autant de moyens mis en œuvre par cette PDG d’une boîte de consulting (comme elle se plaît à le rappeler) ; moyens de se démarquer, dans ce flux de travail de taille mais souvent discret, qu’entreprennent ses confrères au pouvoir.

Fraîchement débarquée de Londres, la ministre du Tourisme, a été accueillie d’une manière pour le moins mitigée lors de son arrivée dans l’équipe gouvernementale concoctée par Mehdi Jomâa. Le scepticisme des élus à son égard avait alors pris, un certain 28 janvier 2014, un ton des plus virulents. On lui reprochait alors un voyage en Israël. La ministre avait, suite à cela, soumis une démission au chef du gouvernement, lui laissant ainsi le loisir de la garder au poste ou de l’en écarter. Mehdi Jomâa optera pour la première possibilité, laissant à Mme Karboul l’opportunité de se présenter en tant que sauveuse d’un secteur en pleine crise.

Voulant visiblement travailler en étroite collaboration avec le ministère de la Culture, Amel Karboul multipliera les apparitions aux côtés du ministre Mourad Sakli. Dunes électroniques, musée du Bardo, réunions de travail, ils s’afficheront souvent en duo, scellant ainsi un « pacte » d’amitié et d’osmose initié le 18 février 2014, dans le cadre d’une réunion de travail à laquelle ils avaient pris part. Avait été alors décidée la mise en place de projets communs sous un volet à explorer et à mettre en vedette: le « tourisme culturel ». Leur première apparition côte à côte était au sud tunisien, lors d’un événement qui a été bien médiatisé et dans lequel l’implication de Mme Karboul, de M. Sakli et de leurs ministères respectifs était minime, vu que « les Dunes électroniques » était un événement organisé par des « privés » et programmé bien avant leur arrivée à la tête desdits ministères.

Le tandem Karboul/ Sakli démontera sa symbiose lorsque la ministre de Tourisme, invitée à participer à un débat sur la chaîne Nessma Tv refusera d’être présente sur le plateau, en l’absence de son confrère de la Culture. La communication de la ministre ne lésine visiblement pas sur les détails dépassant même le fond pour aller vers la compagnie. Une communication pointilleuse quant au registre utilisé, également. Un registre de langue de néophyte certes, mais explicite à souhait, tant explicite que certains y ont vu une grande légèreté, un brin de superficialité et trop de terre à terre. Le recours à la « Harissa » comme moyen de promotion du tourisme tunisien au Canada en fait partie pour certains observateurs à l’esprit critique aiguisé. La ministre avait, dans un spot publicitaire dans lequel on la voyait avancer avec grâce, vanté les mérites de notre condiment national, allant jusqu’à dire qu’après l’avoir goûté, on a forcément envie de venir en Tunisie. Pouvoir magique de la purée de piment ou de celui des termes employés, les touristes ont répondu présents, selon la ministre qui a annoncé une hausse du nombre des réservations aujourd’hui sur les ondes de Shems Fm.

Ministre de terrain, Amel Karboul l’est incontestablement. Du terrain elle en a fait à Berlin lors du salon international du Tourisme. Elle en a fait aussi au musée du Bardo en compagnie du styliste Azeddine Alaya. On lui reprochera en revanche, de prêcher des conquis au lieu d’explorer des marchés autres que ceux que la facilité pourrait ramener vers la destination Tunisie. Le ministère du Tourisme semble pourtant ouvert vers certains horizons plus lointains. En effet, une version du site du ministère du Tourisme a été lancée en langue japonaise afin de conquérir, via le net, ce marché potentiel.

Des professionnels proches du secteur relèveront, cependant, que des efforts sont à accentuer au niveau de la direction des représentations internationales et les offices du tourisme plus particulièrement. Opérant par roulement, ces organismes sont amenés à être dirigés par des compétences certes confirmées, mais qui doivent tout de même redoubler d’effort et persévérer, afin d’atteindre le niveau de popularité locale et de connaissance du marché gagnés par leurs prédécesseurs contraints à partir ailleurs. Un effort serait donc à faire du côté de nos représentations et donc en interne par rapport aux structures du ministère. Notre ministre qui en fournit au niveau de la communication extérieure ne doit, à coup sûr, pas lésiner sur les détails au niveau de la communication interne, ni au niveau de la communication « interministérielle » d’ailleurs.

La ministre avait commencé à mettre de l’ordre au sein de son département. N’avait-elle pas limogé Habib Ammar, le directeur général de l’Office national du tourisme tunisien (ONTT), par téléphone et alors qu’il était en mission dans le cadre de la participation de la Tunisie au salon touristique professionnel BIT Milan ? Habib Ammar, en poste depuis 2010, avait alors été révoqué au bout de 15 jours à peine de collaboration avec sa ministre de tutelle. La volonté qu’a Mme Karboul d’amener un souffle neuf et de mettre de l’ordre au sein de son département semble être réelle. Une volonté qui dépasse même les limites résidant entre les différents départements de l’Etat et allant vers une contiguïté qui pourrait se révéler hasardeuse.

Hier mercredi 3 avril 2014, la ministre est partie s’enquérir de l’état de l’aéroport de Tunis Carthage, visiter l’espace fumeur qui y a été mis en place et se renseigner auprès des passagers à propos des défaillances aéroportuaires dont la lenteur dans la gestion des bagages. Mme Karboul a été au contact des chauffeurs de taxi pour les exhorter au professionnalisme et au sourire. Premier contact avec les touristes étrangers, l’aéroport Tunis Carthage l’est, mais il n’est pas le seul à l’être. Il est vrai que nos aéroports connaissent un sérieux souci au niveau de la gestion. La présence de démarcheurs de compagnies de téléphonie, avant même l’espace de récupération des bagages, est étonnante pour certains passagers, touristes ou autochtones soient-ils. Se voir contraint à payer un forfait pour un taxi qui refuse de mettre le compteur en marche à la sortie de l’aéroport est une arnaque pour des usagers désabusés en nombre. Mais tout ceci est sûrement du ressort du ministère du Transport et des services de l’Office de l’Aviation Civile et des Aéroports. Espérons donc que la visite de terrain de la ministre du Tourisme à l’aéroport hier ne soit pas perçue comme une intrusion, par le ministère du Transport et son cadre dirigeant.

Amel Karboul est présentée comme la femme tunisienne par excellence, par ceux qui lui ont amené leur soutien dès son arrivée au pouvoir. Elle a été présentée par France 2 en introduction à un reportage la mettant en vedette comme une des femmes qui ont combattu pour la parité en politique en Tunisie. Amel Karboul est ministre femme, parmi les trois femmes que comptent le gouvernement Jomâa. Et pourtant, les autres femmes ministres, on ne les voit que trop peu. Sont-elles plus discrètes ? Sont-elles moins compétentes ? La compétence passe-t-elle par la communication ou par l’action ? L’action est-elle médiatique ou doit-elle aussi cesser de l’être par moments ? Amel Karboul avait gagné en popularité et en célébrité avant même qu’elle ne prenne les commandes du tourisme d’une manière effective. Le capital sympathie que lui a accordé l’opinion publique et le crédit qui lui a été octroyé par le chef du gouvernement auront-il été une aura purement médiatique ou Mme Karboul révolutionnera-t-elle réellement les prestations ministérielles conventionnelles ? Aux caméras canadiennes comme aux chauffeurs de taxi tunisiens, Mme Karboul vantera les vertus du sourire pour attirer les touristes. Alors sourions et le reste viendra probablement ! En attendant, comme l’a écrit notre ministre, « let’s rock the boat» !