Lorsque Amira Hammami parle de son parcours, les mots deviennent imagés et le parcours celui d’un rêve, rêve enfin réalisé.
Amira se décrit comme une artiste humaniste et propose un projet de vision pédagogique qu’elle qualifie de « particulière »: « un atelier de lecture, écriture et d’arts plastiques qui connecte l’enfant avec la nature et le sensible ». Quoique n’ayant pas étudié l’art-thérapie, Amira en pratique l’essentiel au quotidien.

Doctorante des Beaux-arts, cette jeune tunisienne a mis fin à une carrière dans l’enseignement supérieur pour faire vivre sa passion: transmettre l’art autrement.

L’art au profit des personnes fragiles:

Des maisons de retraite….

Cette diplômée de Science et techniques des arts plastiques de l’Institut supérieur des Beaux Arts de Tunis a été attirée, au gré de sa thèse en cours, vers un monde peu exploré: les maisons de retraite. Son sujet porte, en effet, sur l’image de la fragilité humaine.
Parmi les étapes marquantes de son exercice artistique, quelques années passées aux ôtés des personnes âgées dans des maisons de retraite. « Je les faisais sortir de leur cadre virtuellement par l’art et les voyais, au fur et à mesure, évoluer ,grâce à cette ouverture à un monde différent de leur quotidien », explique Amira.

« Pendant cette phase de recherche, mon approche photographique avec les pensionnaires a été appuyée par l’approche plastique, ce qui m’a fait glisser vers une recherche sur l’art- thérapie », explique Amira au HuffPost Tunisie.

Une phase qui a duré 10 ans et qui a permis à l’artiste d’intégrer deux éléments qu’elle juge importants: la nature et la création.
« Ces pensionnaires que je commençais à considérer comme une famille vivent dans l’attente d’une fin. Je l’ai écrit dans ma thèse « Ici, le temps se dévalise pour la dernière fois », raconte l’artiste.

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Ils ont été « intégrés au processus de création », leurs capacités inhibées ont été libérées et ceux qui écrivaient d’abord timidement un poème, l’ont lu puis ont commencé à envisager une musique l’accompagnant », poursuit Amira.

Amira a travaillé sur l’environnement propre aux pensionnaires en intégrant le végétal dans leur quotidien, et en faisant ressurgir leurs âmes d’enfants, dans toutes formes de création.

Les résultats cliniques étaient impressionnants et gériatres et auxiliaires de vie l’ont largement remarqué, selon elle.

… aux enfants malades

Appelée à participer ensuite à une expérience en France aux côtés de chercheurs en soins palliatifs, l’artiste tunisienne a pu faire éclore son approche, au contact d’art-thérapeutes étrangers.

« Ce que j’ai vécu avec la vieillesse m’a amenée vers l’essence de la vie. Qu’est-ce qu’on en attend, nous, êtres fragiles (la vieillesses et la maladie sont des formes de cette fragilité)? J’ai commencé à partir de là, à adopter ma démarche aux enfants aux besoins spécifiques », relate Amira.

Autre étape autre orientation mais toujours par l’art, Amira adapte son approche à un public différent, plus jeune et avec une particularité: la maladie. C’est dans leur chambre d’hôpital que l’artiste retrouve les enfants atteints de cancer. Elle les emmène vers une démarche créatrice visant à dépasser la réalité vers un monde onirique meilleur, moins dur et moins fatal.

Grâce à l’imagination créatrice, Amira prouve aux enfants malades leur capacité d’action et leur fait explorer un monde dont ils sont les acteurs et les créateurs. « Les murs rendent malades, je faisais de mon mieux lors de mes passages pour montrer aux enfants que l’imaginaire est capable de dépasser le périmètre où ils se trouvent et je vivais à leurs côtés une évasion ludique et artistique ».

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Arrivée dans une chambre d’hôpital, elle transformait le cadre froid et sans vie en conte imaginaire, à travers la lecture, aux chevets des enfants. « La puissance de l’imagination a un rôle méditatif, elle aspire l’esprit de son cadre et le transporte ailleurs ». Et c’est vers la terre que Amira transporte aussi : « arroser, semer, entretenir, sourire au bourgeon qui voit le jour est , en soi, thérapeutique et c’est dans ce cadre que j’implique la création artistique », note Amira.

L’art pour dépasser les murs:

Aujourd’hui, Amira exerce sa passion dans un contexte différent. C’est dans la nature qu’elle retrouve ses apprentis artistes pour une approche encore plus poussée de sa démarche d’apprentissage de l’art. « Je n’ai pas voulu créer un club mais un process différent de ce qui existe. « , explique l’artiste.

Et de poursuivre « J’ai pensé à l’urgence de mettre en place cette approche dans une démarche pédagogique qui pourrait être partagée dans les écoles et les maternelles car nos enfants, avec l’ère du virtuel, s’éloignent de l’essentiel ».

Dans un processus d’apprentissage qui l’a interpellée depuis ses années de Beaux Arts, Amira explore ce qui a trait à la santé mentale des enfants et à leur bonheur, d’une manière plus spécifique. Elle fait baigner les enfants dans un endroit de vie naturel à entretenir et en fait un espace de création que chacun d’entre eux appréhende à sa façon.

« C’est dans ce sens que j’ai appelé ma démarche « Coin Tipi« , une démarche qui appelle au voyage, à la découverte et surtout à la légèreté créatrice. Mon espace est un concept que je prends sous mon tipi », détaille l’artiste.

Un process artistique particulier:

Rendez-vous est donc donné dans les jardins de Zmorda, un espace culturel de la Soukra. S’enchaînent dans la verdure, des étapes différentes pendant lesquelles l’enfant évolue vers son imaginaire créatif. Une première prise de contact a lieu autour d’animaux du poulailler. Les petits citadins les touchent, leur donnent à manger, les caressent.

Amira les invite même à bien les regarder, à les toucher pour privilégier le contact direct avec les animaux, passage pendant lequel l’enfant explore, selon elle, sa sensibilité et « se connecte » à la nature. Deuxième étape du parcours proposé: la méditation autour d’un tipi installé dans le jardin. Une lecture puis une connexion au monde imaginaire, via un moment de repos et de méditation.

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Place donc à l’imaginaire qui se concrétise ensuite autour d’oeuvres créées par les enfants, un moment pendant lequel ceux-ci donnent vie au conte lu lors de l’étape précédente et dont l’univers a été revisité par eux, chacun à sa manière. « Mes enfants interprètent artistiquement un monde qu’ils ont eux-mêmes créé. Ils explorent leurs capacités artistiques et voient que, dans ce monde, leur regard a de la valeur », déclare l’artiste.

Le livre contre des graines

« J’ai voulu agir avec des enfants, car c’est là que les changements sont plus assimilables », justifie Amira Hammami. Dans le processus artistique, les enfants rencontrent des personnages autres, ceux d’autres artistes, comme les personnages de Lea – Vera. « Les enfants interagiront avec le fruit de l’imagination de cette artiste tunisienne décédée, comme un hommage à elle et à son oeuvre », explique Amira Hammami, en parlant d’un atelier qu’elle proposera samedi 6 mai.

Avec les enfants qui suivent sa démarche artistique, celle-ci a créé un conte collectif qui sortira fin mai.

« Pour avoir ce livre, il faudra payer un prix peu ordinaire: des graines à la place de l’argent », note-t-elle. Retour vers la nature certes, mais une idée recherchée surtout: que ce qui compte, c’est ce qui germe et pousse en nous et autour de nous. L’art est à portée de main et d’imagination.

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