Le dimanche 26 janvier au soir, lors de l’adoption de la Constituante dans son intégralité, les Tunisiens étaient, par milliers, devant leurs écrans, émus par le spectacle cathartique des élus émus eux-mêmes, tombant dans les bras les uns des autres, entre larmes, youyous et chants de stade. (voir vidéo)
A l’exception des élus du Courant d’Al Mahaba, toutes les couleurs politiques n’en ont fait qu’une. L’euphorie était générale et le moment chargé d’émotion à l’intérieur de l’hémicycle et même derrière les écrans.
Pourtant, l’article 4 permettant aux élus d’empocher une prime évaluée à des millions de dinars (21 mille dinars par élu) est bel et bien passé. Pourtant, après de nombreuses tergiversations, une crise intense et une situation extrême, Lotfi Ben Jeddou est bien resté à la tête du ministère de l’Intérieur. Un entêtement qui a failli avoir la tête du nouveau gouvernement avant même qu’il ne voie le jour et qui ne peut qu’éveiller la curiosité et susciter les suspicions.
Pour cette Constitution, nous avons payé le prix fort. Que de sang a coulé, que de familles ont été endeuillées, mais aussi, que d’argent a été dépensé !
Pour ce moment d’euphorie générale, l’Etat tunisien aura déboursé un montant faramineux en salaires, dépenses annexes et gratifications de tous genres. Une somme qui aurait peut-être pu servir, en cette période difficile, à combler les milliers de trous de notre budget. Se payer une nouvelle Constitution était-ce une si bonne idée ? Qui a été l’instigateur d’un tel projet ? Est-ce le peuple ? Au nom de quoi ? De la dignité ? Même la peine de mort n’y est pas abolie ! De la justice transitionnelle ? Trois ans après, la Constituante est prête et les blessés et martyrs de la révolution n’ont toujours pas obtenu justice. Du droit au travail ? 216 élus en ont bénéficié, en effet.
216 élus dont très peu avaient les capacités que requiert un tel projet. Nous avons donc payé, chèrement, l’erreur d’électeurs qui ont amené jusqu’à ce moment historique des personnes qui n’ont, vraisemblablement, rien ajouté à l’érection d’un tel édifice fastidieux. Nous avons lié leur nom à l’Histoire de notre pays et à sa Constituante, eux les néophytes à l’actif souvent nauséabond.
Nous avons payé les shows de Gassas, les acquiescements silencieux des élues d’Ennahdha, les caprices des élus du Courant d’Al Mahaba (qui a fait des siennes, jusqu’au bout, votant contre la Constituante dans sa version finale pourtant approuvée par 200 élus), les exégèses de nombreux députés qui dans le fond n’avaient pas grand-chose à ajouter sinon du verbiage inutile. Nous aurions peut-être mieux fait de payer des experts en droit constitutionnel dont beaucoup auraient certainement travaillé bénévolement et qui se seraient peut-être abstenus de gagner de l’argent sur le dos d’une Tunisie qui souffre.
Le coup est parti, diront certains. Un sacré coût, diront d’autres. Ne lésinant pas sur les moyens, l’Etat (pour rester sommaire) ira jusqu’au bout de son rêve et fera la fête jusqu’à… jusqu’à ce qu’il se mette à pleuvoir (voir vidéo).
Après la magie de la veille, nous voilà tombés en plein prosaïsme ! Voulant rompre avec tous les codes, nous sommes tombés en plein dans le grotesque.
Slogans stéréotypés, chorale, feux d’artifice… autant d’artifices qui en avaient trop l’air. Marzouki a fait un lâcher de ballons pour fêter la Constitution, Ghannouchi a fait une prosternation de remerciement, en signe de gratitude à cette force divine qui a fait oublier au peuple la violence, le vitriol et la chevrotine (voir vidéo). De l’ostentation de genres divers, mais dont l’effet est le même et dont le résultat est réussi : la catharsis. Même Mustapha Ben Jaâfar est devenu, comme par magie, sympathique aux yeux de tous. Le peuple est conquis de ses franges les plus crédules à son opposition la plus farouche. Des élus décédés, on brandira les portraits, mais en accolades chaleureuses on se fendra dans les bras de ceux dont le nom est un peu trop proche du crime (voir vidéo). Le Tunisien est de nature… « gentille ». Evidemment ! Aux oubliettes nos différends. Au diable les divisions. Nous avons enfin une Constitution !
Au lendemain du vote, après les liesses enflammées et les larmes de joies, en prenant le volant, je m’attendais à retrouver des conducteurs moins transgressifs et des piétons plus disciplinés. En allant au contact des gens, je m’attendais à les voir moins agressifs. En rencontrant des lycéens, je pensais ne pas avoir droit au bal des vulgarités, en croisant des passants, je pensais qu’au diable est passée la grossièreté. Que nenni! La crise tunisienne d’après-révolution est surtout une crise de valeurs et notre carence en éducation s’est accentuée depuis l’avènement de la liberté. N’est-ce pas fantastique d’avoir une Constitution comme « charte nationale », mais n’aurait-il pas été mieux d’avoir, avant et en bonus, pour tous les frais avancés, une charte de politesse ?!