NIVEAU : B2/C1
OBJECTIFS :
Etudier des extraits d’un roman ; observer un champ lexical, analyser des textes en se basant sur le vocabulaire utilisé.
PRÉSENTATION DE L’AUTEURE
QUI EST BEATA UMUBYEYI ?
Beata Umubyeyi Mairesse a été la lauréate 2020 du prix des Cinq Continents de la Francophonie avec son livre Tous tes enfants dispersés, paru aux éditions Autrement.
Née à Butare au Rwanda en 1979, Beata Umubyeyi Mairesse est arrivée en France en 1994. Elle venait alors d’échapper au génocide des Tutsi. Elle a obtenu le prix François-Augiéras, le prix de l’Estuaire et le prix du livre Ailleurs avec ses recueils de nouvelles Ejo et Lézardes.
PRÉSENTATION DU ROMAN
L’IMAGE DE LA MÈRE
Blanche est rwandaise et vit à Bordeaux. C’est une rescapée du génocide des Tutsi. Immaculata est sa mère. Entre les deux femmes, la situation n’est pas facile. Le passé est lourd de reproches, de culpabilité et d’incompréhension et l’avenir incertain.
Les deux femmes ont connu de vraies épreuves en lien avec le génocide Tutsi et peinent à se reconstruire. Elles peinent à rebâtir le lien de filiation, à se réapproprier sainement la maternité. Les deux prénoms (Immaculata et Blanche) choisis par l’auteure renvoient à la blancheur ; celle désignant la paix et s’opposant donc au vécu chargé d’expériences tragiques ; celle de la paix des âmes recherchée par les protagonistes au moyen de salutaires rétrospections.
Blanche, fille d’Immaculata est aussi mère. Son fils est, quant à lui, au milieu de ces deux générations de femmes, en quête également de sa propre identité, celle-ci ne pouvant être reconquise que par le biais d’une vraie réconciliation avec le passé.
Dans ce cadre se dresse, en toile de fond, une autre forme de maternité ; celle de mère-patrie à laquelle on voue un amour sans faille. C’est elle qui voit naître ses enfants, les voie aussi s’entretuer, les regarde partir et espère, un jour, les voir revenir à elle.
Le retour aux sources est, en cela, une véritable bénédiction malgré la difficulté qu’il engendre. Il est un retour vers la part brisée de soi, une reconquête de l’Autre, aussi proche soit-il ; une recherche de réconciliation avec l’avenir qui ne peut être salutaire sans un regard serein jeté derrière soi.
Entre reproches, remords, aveux et pardon, oscillent des personnages aux profondeurs certaines. Ils sont ici pour démontrer les abîmes des âmes humaines, ces lieux de retranchements dont il est bénéfique de sortir.
LE POUVOIR DE LA LANGUE
L’auteure choisit d’utiliser le kinyarwanda en incrustation dans un roman écrit essentiellement en langue française. La langue maternelle a toute sa place à travers une mise à l’honneur de ses possibilités de transmission et de ses capacités expressives.
Présentée souvent par Beata Umubyeyi Mairesse comme la langue des symboles et de l’image, le kinyarwanda est la langue des origines que l’on gomme comme par instinct de survie, sous la pression. Pour échapper au génocide, de nombreuses personnes ont fait semblant de ne pas parler cette langue. La renier les a sauvées. Mais peut-on renier pour toujours ?
Cette langue incarne le rapport à la famille, le rapport au pays. Par opposition à la langue française qui est perçue aussi bien par le personnage que par l’auteure comme la langue de l’écrit, la langue du pays d’origine étant celle de l’oralité et de la famille.
Cet attachement aux deux langues est une métaphore de la double culture. Ces deux parties de l’identité linguistique se complètent pour former la riche complexité des doubles appartenances.
Ceci est visible à travers le vécu du fils de Blanche et petit-fils d’Immaculata, métis qui cherche sa place parmi ses communautés.
Le choix de sa mère est de l’orienter vers l’acceptation de ses deux mondes et non vers un choix qui serait à faire entre les deux.
LA DIALECTIQUE DU TEMPS ET DES COULEURS
Le récit se déroule entre trois niveaux temporels : le présent, le passé, le futur. Ces trois temps renvoient à la situation des personnages. En effet, ceux-ci évoluent entre le passé souvent destructeur, le présent qui hésite et l’avenir que l’on souhaite plus stable.
Les personnages tentent de dompter leurs souvenirs en se réconciliant avec, afin d’avancer plus sereinement dans la vie.
Comme à la recherche de clés pour refermer paisiblement les portes de l’enfer, le personnage principal recherche la paix intérieure à travers un retour salvateur vers le passé. Les fleurs de jacarandas sont présentes dans le livre. Dans une interview, l’écrivaine précise à ce sujet, qu’elles renvoient au bleu-mauve « couleur de la nostalgie », mais aussi couleur du deuil. Et faire le deuil, c’est probablement tout ce que recherchent les personnages de ce livre pour passer outre, aimer la vie et se réconcilier avec le passé et ses protagonistes. Le but est de se réconcilier avec le passé, à défaut de savoir l’oublier.
DÉCOUVERTE
- Comment comprend-on le titre du roman ?
- Lisez l’extrait 1. Quels personnages y retrouve-t-on ?
- Quelle relation existe-t-il entre les personnages ?
EXPLORATION
- En vous aidant de l’extrait 1, dites quelle image a la mère dans ce roman.
- D’après l’extrait 2, quelle place a la langue maternelle de l’auteure dans le roman ? Qu’apporte-t-elle ?
- Toujours dans l’extrait 2, relevez ce qui a un lien avec la perception du temps.
EXTRAIT 1
Il la prend par la main pour lui faire visiter les lieux qu’il a toujours connus, sa ville, sa rue, sa maison. Elle lui fait entièrement confiance et cependant toujours il guette son assentiment avant d’agir. La mère l’a longuement préparé : tu seras son guide mais n’oublie jamais ta place : tu es un enfant, tu dois l’écouter et lui obéir. Blanche les suit un pas derrière, silencieuse, interloquée par la fluidité de leur relation, comme s’ils s’étaient toujours connus. Une évidence.
Elle est le lien entre eux deux mais très vite elle se retire de leur conversation, sur la pointe des pieds, pour mieux les entendre se nouer, ainsi que le fait un tuteur qui demeure planté humblement, inutile, à côté de l’arbrisseau qui prend son élan vers les cieux. Une paix tangible a commencé à s’installer sur cette famille autrefois délabrée, déjà, lors de son dernier voyage à Butare. Le temps de la reconstruction pourrait bien être arrivé. Grâce à Stokely, grâce à ce que Blanche en a fait, passant son existence au tamis pour ne lui transmettre que les choses apaisées, laissant à la thérapie ses pierres agglomérées, rugueuses, ce qui n’a pas encore été lissé ni accepté.
Blanche a compris qu’il ne fallait pas tout amalgamer.
Rompre le cercle de mauditions.
Octobre est bien avancé et les premiers jours froids la font frissonner, elle a la nostalgie du pays.
Le temps des au revoir est arrivé. Elle emporte une valise pleine de livres, de graines et d’épices, promet à Stokely de lui écrire souvent. Il pleure un peu, elle le console sans ménagement : « Mwana wange, mon enfant, on ne regrette bien que ceux qu’on a connus, je reviendrai te visiter souvent. Grâce à Dieu et à ta mère, on est ensemble dorénavant. »
EXTRAIT 2
On dirait que tout est sur le point de s’évaporer ou d’être enseveli par une brume de fantôme. Oui, Nyogokuru, ton album est habité de fantômes, et c’est ça qui me plaît.
Je voulais que tu me racontes ton univers avec des photos, seulement les lieux, les objets et les animaux, et on dirait que tous ceux qui sont partis, les morts que tu gardes en toi, sont venus me saluer. J’ai agrandi les photos et je les ai punaisées sur les murs de ma chambre. Quand je suis dans mon lit, je rentre dans un des décors et j’invente une aventure dont toi oxu Maman êtes les héroïnes. Je vous imagine d’autres vies, des histoires qui finissent toujours bien. Sinjye wahera hahera umugani ! J’ai demandé à Maman ce que signifiait cette formule avec laquelle tu finissais toujours les histoires que tu me racontais quand j’étais petit. « Que ça ne soit pas ma fin mais celle du conte ! » C’est trop beau. Les conteurs ne meurent jamais vraiment, c’est ça ? Plus tard, je crois que je voudrais faire ça, tu sais, raconter des histoires, pour tuer le temps qui assassine les gens qu’on aime, pour tracer des virgules entre hier et demain. Maman m’a aussi expliqué qu’en kinyarwanda c’est le même mot pour dire hier et demain, ejo. C’est fort. En cours d’histoire, j’ai fabriqué une petite sculpture avec un long fil de fer que j’avais ramassé dans la cour : j’ai construit dix « ejo » attachés les uns aux autres « ejoejoejoejoejo », et puis avec cette phrase de métal j’ai fait une boule de la taille d’un poing. Comme un globe terrestre. J’y mettrai une tige de fer et je l’offrirai à maman pour qu’elle la pique dans la terre de l’hibiscus (que je lui ai acheté pour son anniversaire et qui est toujours en fleur).
Ejo, hier et demain, c’est ton temps et mon temps réunis dans le même mot. Tu vois, on est toujours ensemble.