Samir El Wafi est en prison depuis le 15 avril 2015. Il avait fait l’objet, le jour-même d’un mandat de dépôt émis par les services du procureur de la République. L’animateur aurait, en effet, racketté des hommes d’affaires tunisiens, en l’occurrence Hakim Hmila, Hammadi Touil et Ayachi Ajroudi. L’affaire qui défraie la chronique soulève de nombreuses polémiques : Y a-t-il un statut de privilégié qu’accorderait la célébrité à ceux qui s’en trouvent lotis? Peut-on en vouloir à une personne pour la simple raison qu’elle travaille dans les médias sans être journaliste à la base ? Il suffit d’un fait divers pour que des paradoxes se révèlent. Focus sur une affaire qui prend des proportions autres que judiciaires.

C’est avec l’arrestation de deux autres figures médiatiques, en l’occurrence, Moez Ben Ghabia et l’humoriste Wassim Herissi que tout avait commencé. Arrêtés pour avoir usurpé l’identité du président de la République, les deux hommes avaient révélé qu’ils ont agi pour démontrer qu’il y avait bien eu racket d’hommes d’affaires tunisiens par le concurrent Samir El Wafi. Moez Ben Gharbia comme Wassim Herissi ont été relâchés à la suite d’un jugement de 6 mois de prison avec sursis. Le président de la République avait décidé de renoncer à son droit de les poursuivre et une mobilisation populaire presque générale avait permis de les soutenir.

S’exprimant à l’époque sur l’affaire où son nom avait commencé à être cité, Samir El Wafi n’a pas nié les faits qu’on lui reprochait. Il avait agi pour des besoins journalistiques, avait-il avancé pour justifier le fait d’avoir demandé de l’argent à un homme d’affaires qui s’est réfugié à l’étranger afin de ne pas avoir affaire avec la justice. L’animateur avait précisé qu’il n’a perçu aucune somme et qu’il s’était contenté de faire croire à l’homme d’affaires en question qu’en payant, il pouvait l’aider à regagner la Tunisie, une fois l’image blanchie par son émission à forte audience. Son but : avoir un scoop et être celui qui aura fait, en premier, l’interview d’un nom connu à l’époque de Ben Ali, en fuite depuis la révolution.

La version des faits avancée par Samir El Wafi n’a visiblement pas convaincu. Interrogé le 15 avril 2015 par les services du procureur de la République, il a été transféré illico à la prison de Mornaguia. La date de son procès a vite été fixée. C’est le 22 avril 2015 qu’il comparaîtra devant le juge pour escroquerie et quoiqu’il demeure innocent jusqu’à preuve du contraire, Samir El Wafi aura été dénigré sur la toile et dans le milieu où il travaille par ceux qui ne voient en lui qu’un « usurpateur proche d’Ennahdha et du CPR ».

Ont alors commencé à fuser les réactions hostiles à la vedette du petit écran. C’est essentiellement parce qu’il n’a pas la formation de journaliste que Samir El Wafi sera attaqué, qu’on se dira contents de le savoir en prison, qu’on souhaitera l’y voir croupir pour longtemps. Pourtant, le succès de ce rédacteur présent dans le milieu journalistique depuis une vingtaine d’années est connu de tous. En atteste l’audience de ses émissions ne laissant pas indifférents les téléspectateurs et suscitant par les choix éditoriaux qui leurs sont propres des polémiques en nombre. Peu importe le style choisi, qu’il plaise à la masse ou déplaise à une certaine élite, d’un point de vue « marketing », Samir El Wafi a réussi à percer et à s’imposer et vraisemblablement à déranger. Il a dérangé au point que des personnes se félicitent de le savoir en prison pour la simple raison de ne pas le revoir les soirs du dimanche à la télévision. A ceux-là, un bouton sur une télécommande aurait suffit, pourtant…

Mais Samir El Wafi n’a pas que des ennemis. Il a aussi des amis bien zélés qui ont pris sa défense. Certains y verront même un signe : C’est Ennahdha, premier organe « officiel » à défendre l’animateur télé via un communiqué de presse et c’est Hassan Ghodhbani, avocat proche du courant islamiste qui prêchera en sa faveur dans les radios et sur les plateaux télé. Me Ghodhbani ira même jusqu’à s’indigner du fait qu’il n’y ait pas de traitement de faveur pour certaines professions dont celle de journaliste aux côtés de celles d’ « avocat, juge, médecin, ingénieur ». Avançant que ceux-là « ne sont pas n’importe qui », dans le cadre d’une intervention enflammée sur Al Hiwar Ettounsi. Hassan Ghodhbani a soulevé un autre problème qui est cette facilité d’émission de mandats de dépôt à l’encontre de personnes pouvant comparaître en état de liberté.

Au-delà du volet laissé à la discrétion du procureur de la République, ce que l’intervention de Me Ghodhbani soulève d’important est cette possibilité de créer une frange de citoyens au dessus des lois. Etre journaliste peut-il être un motif d’impunité ? Y-a-t-il des limites déontologiques à la latitude permise au journaliste dans le cadre de son travail dans la sphère du pouvoir et de celle des affaires ? La réponse ne sera probablement trouvée qu’au moyen du traitement de pareilles affaires auxquelles nous ne sommes pas habitués.

Samir El Wafi ne sera pas sur Al Hiwar Ettounsi, ce dimanche, comme à son habitude. Il sera en prison. Ceux qui s’en réjouissent le font parce qu’ils ne voient pas en lui de journaliste. Ceux qui le défendent le font parce qu’ils ne voient en lui que le journaliste. Au-delà de ces deux visions antonymiques, il y a le citoyen et il y a l’homme tout court. Celui-là doit répondre de ses faits devant la loi et nous doit, non pas l’empathie quasi humaine qui ne se commande pas, mais le simple respect pour sa personne, abstraction faite de tout a priori. En attendant, c’est la justice, seule, qui fera de lui un coupable ou un innocent.

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