L’extrémisme religieux a frappé, ce mercredi 18 mars 2015, et a frappé fort. La dernière attaque terroriste est des plus sanglantes mais aussi des plus « novatrices ». Les « fous de Dieu » sont sortis des tranchées, ont quitté le Châambi et ses environs et ont atteint la capitale, son symbole le plus fort et celui de notre culture : le musée du Bardo. L’attaque était censée cibler l’Assemblée des représentants du Peuple, mais ratant leur cible, les éléments terroristes en ont trouvé une de rechange, avec un impact aussi fort. Sur internet un message a été adressé aux adeptes de la mouvance radicale, les comptes twitter de la branche islamique étant surveillés de près (du moins, par les internautes qui les dénoncent publiquement) et fermés quasi systématiquement, ensuite.

Deux jours avant, un tweet avait été publié. Il annonçait « une nouvelle heureuse qui frapperait les adeptes de la modernité et de la culture ». Le signal avait été donné et le teasing fait n’a été lu, dans son aspect annonciateur, qu’après coup (quoique ce tweet soit en contradiction avec le fait que la cible première était, selon plusieurs versions, l’ARP). Cette annonce sournoise a fait suite à une tirade rendue publique hier, sur un site de partage de documents.
Le long texte a été publié par ceux qui revendiquent l’attaque sanglante du musée du Bardo et au cours de laquelle sont mortes 21 victimes. Le texte en question est agrémenté de photos des terroristes abattus présentés, évidement en héros, de captures d’écrans illustrant le crash boursier et de versets coraniques justifiant, selon la lecture propre aux groupes islamistes en question, l’horreur commise au nom de Dieu.

Ce qui se dégage en évidence de pareille communication est que les jihadistes ne vivent plus en marge de la société. Leur clandestinité ne fait pas d’eux des êtres déconnectés de la réalité, de la modernité et de l’actualité. Dans leur texte publié hier et intitulé « une journée ordinaire », il a été relevé que les dirigeants français ont réagi avant ceux tunisiens, il a été rappelé et étayé par des graphiques la dégringolade des indices boursiers, il a repris les déclarations officielles et les différentes versions données notamment par Mohamed Ali Aroui porte-parole du MI, présenté comme « l’impie» avec toute la connotation et les déductions découlant de pareil qualificatif. Ont même été publiées, les photos des cadavres des deux terroristes, sans le tag dénotant l’exclusivité du journal tunisien qui les avait divulguées.

Avec toute la latitude que permet le monde virtuel et tout le confort qu’y représente l’anonymat, les extrémistes religieux ont gagné en force d’action mais aussi de réaction. Après l’annonce et l’euphorie, ils sont passés au stade de récit et d’analyse. L’acte d’hier a été expliqué dans les détails dans une lecture de l’intention des deux éléments pourtant neutralisés et n’ayant, a priori, pas pu livrer, aux leurs, leur version des faits. Dans ce récit, la connotation de la joie est palpable et explicite. Elle est dans les images utilisées et dans les mots.

Paradoxalement, les adeptes du mouvement radical ont été appelés à ne pas montrer leur joie publiquement et à la garder pour eux pour ne pas être repérés. En effet, pareilles manifestations d’euphorie suite à des attentats terroristes avaient fait l’objet d’arrestations et de condamnations auparavant. Indiscipline ou faute d’avoir reçu le message à temps, quelques individus sont sortis fêter dans un quartier des environs de Tunis hier ce qu’ils désignent comme « l’invasion de Tunis » à coup de feux d’artifices et de « Allahou akbar ».

Les terroristes dans un pragmatisme déconcertant ont perçu l’impact de l’ostentatoire sur leurs capacités d’agir. Ils ont dépassé les stéréotypes de nature physique à travers lesquels on les cataloguait jusque-là. Sans barbe, ni qamiss, ils se fondent dans la masse et passent inaperçus. Le texte publié hier explique en effet que les terroristes de l’attaque du Bardo avaient pris le métro et caché leurs armes à la station de bus mitoyenne au musée. Ils sont arrivés jusqu’à l’intérieur du musée sans être dérangés par un quelconque contrôle d’identité, par la moindre suspicion citoyenne.

La facilité avec laquelle l’action d’hier a été menée, l’absence d’obstacles et l’absence de réaction anticipative de la part des éléments sécuritaires a, au vu des récits des faits effectué dans le cadre du document cité plus haut, encouragé le groupe revendiquant l’attentat à poursuivre son action meurtrière. Une appréhension semblait donc les dissuader de mettre en place des actes terroristes dans la capitale. L’appréhension n’existe plus et la facilité avec laquelle l’attentat d’hier a été mené fait l’objet d’un appel à en organiser d’autres. L’énumération des types d’attentats à organiser va de l’idée d’écraser des passants sur les routes, à l’étouffement par l’oreiller, à l’empoisonnement… Les nationalités citées sont la française, la britannique, l’américaine, l’allemande… L’action terroriste semble donc vouloir aller vers l’inattendu pour choquer davantage, pour faire plus mal et pour semer la paranoïa.

« Pourquoi aller en Libye et dépenser 3000 dinars pour le djihad et le martyr ? Vous pouvez en restant à Tunis, en achetant une arme, agir en plein pays du taghout! », C’est ce qu’on peut lire dans ce manifeste extrémiste d’un nouveau genre. Cet appel explicite est d’autant plus dangereux que, s’il est suivi, l’ampleur des dégâts pourrait être importante et la capacité de réaction des autorités déstabilisée. Car la marginalité prenant les aspects du commun pourrait devenir imperceptible et, de ce fait, beaucoup plus efficiente, beaucoup plus douloureuse et beaucoup plus plurielle.

Le terrorisme anecdotique n’est plus, c’est ce qui se dégage d’une lecture de la scène tunisienne régionale et internationale. Une analyse du discours terroriste et des moyens qui le véhiculent est susceptible de le prouver, l’énumération qui va crescendo des différentes attaques meurtrières ne peut que l’attester. Nous passons de l’occasionnel au récurrent et le danger serait, dans ce triste passage, d’en arriver aussi à « l’habituel ».

Parce que nous ne devons pas nous habituer à l’horreur et que nous devons la combattre au quotidien, parce que les terroristes ont changé de cap, nous devons en changer aussi. Nous sommes en train d’avancer d’une manière symétrique, les islamistes vers leur objectif fatal et nous-mêmes vers un inconnu que l’on jalonne de discours politiques populistes et utopistes à la fois. Dans cette symétrie de la parole, de l’action et de la réaction, les islamistes deviennent de plus en plus virulents quoique la volonté d’éviter l’alarmisme avance le contraire. D’un point de vue sécuritaire et gouvernemental, nous avons besoin de nouvelles stratégies, de personnes qui assurent et non de personnes qui semblent vouloir uniquement nous rassurer. Nous avons besoin de sang neuf pour chasser « le mauvais sang » !

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