Voilà plus d’une semaine que Habib Essid a été désigné comme chef du gouvernement en devenir. Depuis, les tergiversations vont bon train et les spéculations les plus folles sont au centre des intérêts de citoyens quelque peu dispersés par l’actualité internationale. M. Essid doit composer avec les compétences qui lui seront proposées pour présenter à l’ARP ceux qui dirigeront nos ministères d’ici peu. On ignore encore qui y sera, quel portefeuille pour quel nom, quel nom pour quelle raison, quel accord, quel arrangement…

Néanmoins, nombreux sont ceux qui savent qui ne veulent-ils pas qu’il y ait dedans: les islamistes. Pour que cela ne soit pas taxé d’exclusionnisme, voici les raisons pour lesquelles on ne veut pas d’islamistes au pouvoir :

– Parce qu’Ennahdha a déjà essayé l’exercice du pouvoir : oui Ennahdha a fait trois ans d’exécutif. Elle a eu sa chance pour gouverner cette Tunisie dont elle a été exclue depuis les années d’exil forcé et volontaire. Puisque les urnes avaient vengé une frange de Tunisiens exclus pour leur appartenance idéologique, la carte de la victimisation n’est plus possible. Ennahdha n’a plus de raison pour nous faire culpabiliser ! Même si on relativise du côté de la Troïka la notion d’échec, la Tunisie n’a plus le temps de tester celui qui l’a déjà été.

– Parce qu’Ennahdha n’a pas réussi dans cet exercice : Ennahdha, parti gagnant des élections de 2011 avait décidé de composer avec deux autres partis, le CPR et Ettakattol, pour diriger le pays. Une composition dissonante qui a montré ses limites dès ses premiers jours. Le bilan de ces trois ans de provisoire est incontestablement négatif. Loin de s’attarder sur les détails le prouvant car ils ont été ressassés trois ans durant, il est possible de rajouter que les ministères ayant été mis entre les mains d’Ennahdha ont été sujets à controverses et leur bilan est loin d’être positif. Nous nous souvenons tous du rendement de certains ministres d’Ennahdha. Absent ou contesté, ce bilan est négatif que ce soit au ministère de l’Intérieur, à l’Enseignement supérieur, aux Affaires étrangères, à la Justice ou à la Justice transitionnelle.

– Parce qu’il y a eu des affaires douteuses : L’affaire Rafik Abdessalem, gendre de Rached Ghannouchi qui avait été nommé ministre des Affaires étrangères, avait défrayé la chronique. Elle est encore l’objet d’une bataille judiciaire. Alors même s’il n’est pas encore possible de le certifier, pareilles affaires réduisent grandement la confiance que peut avoir le peuple dans ce parti islamiste que certaines personnes avaient élu, en grande partie, pour sa proximité idéologique avec les préceptes de l’Islam.

– Parce que c’est à l’époque d’Ennahdha que le terrorisme a commencé à sévir : Même s’il était là depuis Ben Ali, c’est sous la Troïka menée par le parti islamiste que le terrorisme a sévi le plus et fait des dizaines de victimes. Ennahdha n’est peut-être pas responsable directement des sévices des fanatiques, mais elle l’est indirectement. Car Ennahdha a fait preuve de laxisme dans sa gestion du terrorisme, car son leader Ghannouchi l’a justifié en désignant les extrémistes comme ses enfants qui lui rappellent sa jeunesse, il n’est pas possible de déléguer, de nouveau, la gestion du pays à Ennahdha. Le temps est à l’affrontement avec ce monstre à l’étendue internationale qui nous guette et ceux qui vont le combattre ne peuvent aucunement être ceux qui, par leur politique ou par leur absence de politique, lui ont permis de proliférer.

– Parce que Belaïd et Brahmi : Deux figures politiques de renom ont été assassinées sous le règne de la Troïka. Chokri Belaïd avait été pendant une longue période l’objet de la vindicte verbale des islamistes non pas par les partisans du parti au pouvoir, mais par certains de ses cadres. Quant à Brahmi, c’est dans le cadre de l’enquête sur son assassinat que des noms d’Ennahdha sont évoqués. Des affaires judiciaires et des accusations planent même autour de certains anciens ministres appartenant à ce parti. Certains bénéficient, désormais, d’une immunité parlementaire, n’offrons donc plus aux autres la possibilité de défier, par la loi, la loi.

– Parce que la compétence pourrait manquer : Il ne s’agit point, dans le cadre du gouvernement à venir, de distribuer les portefeuilles comme on distribue les parts d’un gâteau qu’on se partage. La situation du pays est tellement difficile, qu’il en devient inadmissible de raisonner en termes de complaisance. Les figures importantes d’Ennahdha sont désormais connues. S’il y avait eu une compétence transcendante ne pouvant se trouver ni chez Nidaa ni ailleurs, il est évident qu’Ennahdha l’aurait déjà mise en avant. Quant à ceux que celle-ci avait présentés comme des compétences indépendantes, ils sont, depuis les dernières législatives, connus pour leur appartenance, auparavant dissimulées, au parti islamiste. Difficile, pour beaucoup, de faire confiance à l’islamisme politique : trop de perfidie et de double-langage empêche que du crédit lui soit de nouveau accordé.

– Parce que les frères ennemis d’hier ne peuvent pas être les meilleurs amis de demain : Depuis le vent de liberté qui les a fait passer de la marginalisation à l’épanouissement, les forces politiques n’ont pas cessé de s’affronter dans des duels souvent vains mettant à mal la stabilité du pays, son économie et son image. Des tiraillements sur écran, sur les ondes et sur la toile ont lassé l’opinion publique et reflété une image négative de la scène politique qui s’est reflétée à son tour sur le moral du citoyen et sur la situation générale du pays. Pour incompatibilité de réflexions et de visions, la cohabitation Ennahdha/ Nidaa ne pourra pas être harmonieuse. Il est donc plus judicieux d’épargner au pays les affrontements de ces meilleurs ennemis que la majorité a départagés.

– Parce que le peuple n’a pas accordé de majorité à Ennahdha : « Le peuple ne nous a pas accordé de majorité confortable », disait BCE après les législatives. Certes ! Mais pareil choix n’implique pas que Nidaa inclue Ennahdha dans le prochain gouvernement car ce peuple n’a pas accordé de majorité à ce parti. Le peuple a choisi de voir Ennahdha passer à l’opposition après avoir été aux commandes. Pourquoi ne pas respecter cette consigne des urnes ?

– Parce que la majorité ne veut plus de l’islamisme politique : Derrière le choix de Nidaa et de BCE, les électeurs avaient exprimé leur choix d’aller vers un schéma de gouvernance autre. Terrorisés par l’hydre à trois têtes qu’a été la Troïka, on risque de l’être, également, par une à deux têtes. Le choix de la majorité qui a pris forme aux législatives s’est confirmé à la présidentielle et la double victoire de Nidaa est l’image de la volonté de ces électeurs majoritaires de voir le pays changer de bord et passer de l’islamisme politique au bourguibisme que BCE s’est évertué à incarner. Le peuple a réclamé la rupture, il faut donc qu’il y ait une réelle rupture, pas dans les relations qui doivent se poursuivre dans la cordialité pour le salut de ce pays, mais dans l’art de le gouverner avec un sang neuf.

– Parce que l’espoir du jour meilleur ne se nourrit pas de promesses, mais d’actions : Il est nécessaire de ramener de la fraîcheur dans ce pays qui stagne depuis trois ans. Parce qu’il faut cesser de régresser, on a besoin d’une approche politique nouvelle susceptible d’assurer, sur le plan national et international, et de diriger, d’une manière nouvelle, pour pouvoir amener l’espoir contagieux du jour meilleur.

Parce qu’une poignée d’années aux commandes d’un pays passe vite et qu’en politique, tout se construit sur le long terme et pour la durée, Ennahdha gagnerait plus à être dans l’opposition qu’au pouvoir. En effet, l’exercice du pouvoir, en pareille période, sera une épreuve éreintante, le plus intelligent est donc de s’épargner cette épreuve pouvant mettre à mal l’image et la popularité d’un parti. Pour que la démocratie se construise correctement, loin de l’intimidation et des consensus pouvant s’avérer caduques, dès les premières confrontations, on ne veut pas d’Ennahdha au pouvoir, parce que nous voulons une opposition pesante face à un pouvoir pouvant l’être négativement à son tour. Faisons du déséquilibre un équilibre, c’est plus profitable pour la Tunisie qui se mue dans la difficulté.

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