La polémique en France sur la longueur de la jupe d’une collégienne a été adoptée en Tunisie, avec quelques variantes. Le voile d’une hôtesse de l’air a fait le débat et continue à le faire. Alors que la jeune française a été exclue de l’établissement scolaire parce que sa jupe était trop longue, l’hôtesse tunisienne a été appelée à ne pas monter à bord parce qu’elle avait les cheveux couverts. Le parallèle n’est pas sans divergences. Mais les similitudes sont multiples. Topo d’un débat surréaliste.

L’hôtesse de Tunisair et le voile. Cela pourrait faire le titre d’un roman, tant l’intrigue est rocambolesque, les personnages fantasques, les adjuvants nombreux et les râleurs également.

Pas plus loin qu’hier, des observateurs accusaient l’hôtesse en question d’être la cause de la chute des actions de la compagnie aérienne nationale. En France, après l’éviction de la collégienne, un collectif est né, son nom en dit long sur l’aspect creux d’un débat hors du temps « Je porte ma jupe comme je veux ». Non ce n’est pas une blague ! C’est l’appellation choisie pour le mouvement voulant contrer l’écart produit par un directeur de collège « zélé ». En Tunisie, le collectif défendant l’hôtesse voilée n’a pas de nom aussi banalement explicite, mais a, en majorité, une appartenance idéologique nette. Ce sont les CPRistes et autres révolutionnistes qui se sont consacrés à la défense de ce dossier. Quant aux modernistes, élitistes, bourguibistes… ils crieront au scandale quant à cette dérive qui pourrait en amener d’autres. Une hôtesse à la tête couverte ? Et puis quoi encore !

Le débat sur le voile de l’hôtesse mérite d’être posé, à échelle moindre certes, mais il mérite d’être abordé publiquement. Il est toutefois posé d’une manière biaisée et c’est là que réside le vice. La plupart des intervenants et autres commentateurs en font une lecture éthique, voire « esthétique ». Présent sur un plateau télévisé, un acteur tunisien de renom, dira qu’il n’a « rien contre le voile s’il est élégant, avec des couleurs pastel, un carré Hermès par exemple ». Perspicace et pas superficiel pour un sou ! Au nom du dieu des poids et des mesures, cessons ce débat!

Les mêmes personnes qui, commentant l’incident de la province française, pointeront du doigt la ségrégation antimusulmans et crieront au scandale en constatant la stigmatisation anti-arabes, ces mêmes personnes sont celles qui verront, en le port du voile par une hôtesse de l’air tunisienne, un affront à la laïcité de la République. Ces mêmes personnes auraient crié au scandale et qualifié le commandant de bord ayant déclenché le conflit d’extrémiste, si l’hôtesse avait été évincée pour une jupe trop courte.

Il n’est même pas intéressant de chercher à répondre à cette lecture biaisée, de commenter l’intolérance qui s’en dégage, de relever le dommage que cela engendre sur le tissus social tunisien qui se distend pour des raisons idéologiques, ni de faire remarquer que c’est toujours aux mêmes personnes que cette distanciation profite.

Inutile d’aborder le problème qui n’en est pas un à partir de cet angle, car le problème ne réside pas là où on le croit. La polémique du voile de l’hôtesse est surtout un conflit d’ordre purement juridique. Un contrat liant l’hôtesse de l’air en question et son employeur et précisant la nature de l’uniforme et ses détails, c’est cet engagement contractuel « rompu » qu’il aurait fallu rappeler en premier.

A défaut de pragmatisme dans le traitement de ce qui relève du « passionnel » (le religieux, en l’occurrence), on ira, dans l’un et l’autre camp, vers une portée idéologique. Les uns nous rappelleront une lecture particulière de la laïcité devenant moyen de refus de l’altérité. Les autres récupéreront le tout et en feront un débat oppresseurs/opprimés sur fonds de querelles politiques et de comptes à régler.

L’affaire du voile comme celle de la jupe sont anecdotiques, mais très révélatrices de nos sociétés, de nos politiques, de notre élite. Elles en disent long sur le mal-être qui agite le débat et l’oriente là où il ne devrait pas aller. Et ces débats n’ont pas lieu d’être, tant dans une société ayant accueilli l’Autre depuis trop longtemps pour le stigmatiser aujourd’hui, que pour la nôtre qui découvre l’Autre dans la douleur et qui a mesuré l’impact des conflits idéologiques sur une politique encore en chantier.

Ce débat sur les signes ostentatoires d’appartenance religieuse voire de choix dans l’exercice quotidien de cette religion ne devrait plus se poser. Pas uniquement pour des considérations politiques, mais aussi pour l’aspect anachronique que revêt le problème en question. Seule la législation claire et les rapports contractuels peuvent constituer une issue rationnelle à de pareils conflits. Tout le reste n’est que polémique et toute polémique n’est que récupération.

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