Houellebecq l’avait prédit : les islamistes sont à Paris ! Non pas à l’Elysée comme écrit, dans le roman polémique du célèbre écrivain français, mais à la rue Richard Lenoir, là où siège le journal satirique Charlie Hebdo. Ce mercredi 7 janvier aura été une date tristement marquante comme l’avaient été d’autres, aussi sanglantes, témoignant, à leurs tours, du paroxysme de la bêtise humaine. A 11h30, cette bêtise humaine a donc frappé dans une petite rue du 11e arrondissement parisien à l’arme lourde et a fait douze morts et de nombreux blessés. Le bilan est lourd, aussi lourd que l’impact qu’il a eu en France et ailleurs.

Charlie Hebdo, pour ceux qui ne le connaissent pas, est un journal satirique qui s’est attiré la foudre des islamistes depuis quelques années déjà. En 2006, le journal est la cible de menaces sérieuses. Son local et certains journalistes avaient alors été mis sous protection. Pour cause, une Une qui a suscité de vives critiques. On y voyait une caricature du prophète qui se cache les yeux et dit : « C’est dur d’être aimé par des cons. » Charb avait surement vu juste !

Le 2 novembre 2011, le siège de Charlie Hebdo est la cible d’un incendie d’origine criminelle. L’attaque qui n’a pas engendré de pertes humaines avait visé l’ancien siège du journal au 62, boulevard Davout, dans le 20e arrondissement de Paris. Elle avait pour cause un dessin mettant en scène le prophète. Dans un parallèle qui n’était visiblement pas du goût de tous, le journal avait fait allusion à la victoire des islamistes en Tunisie après la révolution.

Charlie hebdo est ensuite piraté à deux reprises en 2011 puis en 2012. « Soyez maudits par Dieu ! Nous serons votre malédiction sur le cyberespace ! » avaient inscrit les hackers qui avaient remplacé la page d’accueil par une photo de La Mecque et des versets du Coran. Puis par un message en anglais et en turc disant : « Des dessins dégoûtants et honteux en prétextant la liberté d’expression ».

Par ailleurs, l’un des caricaturistes phares de l’hebdo, Stéphane Charbonnier, alias Charb, figurait parmi la liste des 11 personnalités à abattre. Une liste préparée par Al-Qaïda sous le titre « Wanted dead or alive for crime against Islam » et publiée dans la revue anglophone du groupe islamiste.

Charb, Cabu, Wolinski et d’autres de leurs confrères ont payé, en ce 7 janvier, le prix le plus fort de la liberté d’expression : leurs vies. Les 3 personnes ayant attaqué le siège du journal ont été filmées, à leur sortie, criant que le prophète est vengé et lançant des « allahou akbar ». En même temps, leurs tirs en rafales, en pleine rue, ont ciblé des policiers dont deux sont décédés.

Après avoir été secouée par des débats idéologiques en relation avec l’acceptation de l’Autre et la place de l’islam dans ce pays où les musulmans se comptent par millions, la France connaît désormais les travers de l’islam : l’intégrisme et le fondamentalisme. Tout en ne puisant rien dans les fondements de cette religion réputée pour être celle du pardon et de la tolérance, ces fous de Dieu justifient leur barbarie par une réaction vengeresse. Ils réagissent à la transgression résidant dans le fait de donner corps au prophète à travers un dessin et de le vouloir satirique de surcroît.

Hier encore était à la une de la plupart des journaux français le livre de Michel Houellebecq sorti seulement aujourd’hui en librairie. Ce roman qui met en scène la victoire des islamistes et leur accession au pouvoir en France a suscité la polémique même avant sa sortie. Aujourd’hui, suite à l’attaque de Charlie Hebdo, l’écrivain a été mis sous protection de la police et la maison d’édition, Flammarion, qui publie son livre controversé a fait évacuer ses locaux d’Odéon à Paris, selon une source policière contactée par le Nouvel Observateur.

Dans ce pays où il est on ne peut plus d’actualité, le débat autour de l’identité trouve sa plus forte expression dans le schéma politique incarné par le duel entre les idées de gauche au pouvoir et celle de l’extrême droite le convoitant. La France qui lutte encore sur le plan idéologique et politique contre la diabolisation de l’Autre, contre sa marginalisation et sa stigmatisation se trouve donc confrontée à l’horreur, en proie à l’Autre dans toute sa laideur. Avait-on raison de le diaboliser cet Autre et de dire qu’il est à craindre, devait-on mieux tenter de le connaître pour savoir l’accepter, ne devait-on pas l’accepter pour mieux le respecter ? Ces questions sont à même de se poser en France et ailleurs. La nouvelle tragique a, en effet, choqué et attristé de nombreuses personnes suscitant une vague de solidarité dépassant les frontières de l’hexagone.

Loin des déclarations de soutien officielles, c’est à travers toute la blogosphère que l’horreur face à l’horreur est dite. Communiqués en nombre, déclarations gouvernementales, tweets, et autres témoignages de tristesse ont envahi la toile. Le terrorisme que l’on ne voyait que sur écran, dans cette Europe qui l’étudie, l’analyse et le scrute via ses services secrets a frappé de plein fouet aujourd’hui. N’avaient donc pas tout vu juste ceux qui pensaient que l’intégrisme était le lot des pays s’acheminant encore vers la démocratie. Tel est le cas de cette Tunisie, jusqu’à récemment secouée par les soubresauts révolutionnaires.

Le terrorisme a, aujourd’hui, agi et a fait des morts dans un pays où la démocratie est installée depuis longtemps, un pays à l’armée puissante, à la police aguerrie et à la réaction vive face à la menace. Le plan Vigipirate, déjà en place, sera renforcé. Sa version « alerte attentats » est plus spectaculaire, selon de nombreux témoignages et le déploiement spectaculaire est voulu préventif et effectif.

En attendant, les meurtriers courent toujours, la menace est encore là et de nombreux sièges de journaux font l’objet de protections particulières, la cible étant la liberté d’expression. Au nom de ce droit de dire sa pensée aussi dérangeante soit-elle, des journalistes et caricaturistes de renom sont aujourd’hui morts par balles. Ils ne sont pas morts en Afghanistan ou à Peshawar au Pakistan mais dans leurs bureaux, à Paris, dans leur pays, celui qui leur garantit le droit à l’expression libre et qui ne les réprime qu’à travers la loi.

La France a perdu, en ce jour triste et rageant à la fois, des chroniqueurs, des dessinateurs, des journalistes. Elle a perdu l’esprit de fête qui planait encore dans ses rues et qui dessinait un sourire d’occasion sur les visages les plus moroses. La France a perdu Charb, Cabu, Wolinski et s’est enfoncé dans ce que l’altérité a de plus sanglant. La querelle politique entre extrémisme de droite, nationalisme et autres manières détournées pour dire le refus de l’Autre et les politiques défendant les libertés et luttant pour le respect de la différence n’en sera que plus rude. Aussi rude que la lutte contre les amalgames et les raccourcis voyant dans l’islam, l’intégrisme et dans le musulman un potentiel terroriste.

12 personnes sont mortes aujourd’hui à cause de la loi du plus faible, celui tuant pour ne pas entendre ce qui dérange ses convictions. Ils s’ajouteront aux 77 journalistes et collaborateurs assassinés rien qu’en 2014 (chiffres de RSF). Les affres de la pensée radicale frappent essentiellement ceux qui la déstabilisent. Quant à la liberté d’expression, on ne l’achève pas en achevant un journaliste, on ne l’extermine pas en en tuant douze. « C’est peut-être un peu pompeux ce que je vais dire, mais je préfère mourir debout que vivre à genoux. », avait déclaré au Monde Stéphane Charbonnier, alias Charb, dessinateur et également directeur de la publication de Charlie Hebdo. Avec ses autres collaborateurs, il est mort aujourd’hui, comme un vaillant combattant, son arme à ses côtés : une plume satirique devenue tragiquement historique.

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