La présidence de la République organise, aujourd’hui 7 février 2014, un événement en guise de célébration de la Constitution nouvellement approuvée. L’événement a suscité, bien avant sa tenue, une polémique quant à deux points l’ayant entaché. Premier hic de taille ayant échappé, visiblement, aux organisateurs : le choix de la date. Le deuxième hic consiste en de potentiels incidents à caractère diplomatique en ayant résulté.
La présidence de la République, dès le lendemain du vote favorable à l’ANC pour l’instauration de la nouvelle Constitution, soit le 27 janvier 2014, a organisé un événement au palais de Carthage. Ce fut un essai festif raté : la qualité de l’organisation semblait peu satisfaisante, les prestations prévues de second choix et le temps pluvieux n’avait fait que tirer davantage vers la médiocrité, une festivité qui en était déjà bien marquée.
Le deuxième essai a été lancé quelques jours après. A la fête d’aujourd’hui, annoncée le 31 janvier 2014, sont en effet annoncés « présidents, rois et princes». L’événement dans son acte II a l’air d’être plus officiel, donc mieux organisé. Néanmoins, des bruits de couloirs au ministère des Affaires étrangères font état d’incidents à caractère diplomatique avec bon nombre de pays que la présidence aurait omis de convier ou auxquels les invitations seraient parvenues assez tard pour qu’un chef d’Etat puisse inclure un tel voyage dans son planning.
A voir cela de près, la date était trop précipitamment fixée : le 7 février, coïncidant, d’une manière simple mais non simpliste entre le 6 et le 8 février. La première date correspond à la commémoration de l’assassinat de Chokri Belaïd, martyr de la nation pleuré par sa partie qui a perdu en le perdant, un de ses vaillants défenseurs. Hier, en effet, était une journée marquant l’Histoire de la Tunisie d’une marque doublement tragique : une journée qui a rappelé le deuil qu’a connu le pays après la disparition de Belaïd et le deuil que l’on voudrait nous inciter à faire, en tuant la vérité quant aux réels commanditaires de ce crime odieux.
Le cœur des Tunisiens n’est donc pas à la fête, diront certains. La fête est pour le lendemain, diront d’autres. Sauf que le lendemain est aussi la veille d’un autre événement sanglant : les événements de Sakiet Sidi Youssef. En effet, la Tunisie ainsi que l’Algérie ont pour coutume commune de faire honneur en cette date aux 75 morts (dont une douzaine d’écoliers) tombés suite aux bombardements de 25 avions français sur ce petit village du nord-ouest tunisien. D’ailleurs, en parlant de la France, François Hollande, qui en est le président était un des premiers à accepter l’invitation que la présidence de la République tunisienne lui a envoyée. C’est même suite à un communiqué de l’Elysée, que l’organisation de cette fête a été révélée publiquement.
Hollande est donc aujourd’hui de la fête, parmi une poignée de présidents ayant accepté l’invitation. Quant aux autres pays, ils délègueront le privilège du partage de la joie des Tunisiens à leurs présidents de parlements essentiellement. Les rois annoncés, nous n’en verrons aucun. Quant aux princes, seuls celui de l’Espagne et celui du Maroc ont fait le voyage. Ceux qui ne sont pas venus ainsi que ceux qui ont honoré la Tunisie par leur présence savent ou sauront, à coup sûr, que les Tunisiens demeurent mitigés, que la Constitution n’est qu’une étape et une étape dont le coût élevé a davantage alourdi les caisses de l’Etat. Ils savent aussi que l’organisation d’un tel événement impliquant des frais d’organisation élevés est le budget superflu de trop dans un pays qui peine à se reconstruire.
Mais à ces convives, on ne montrera pas la misère. Pour eux, les routes seront nettoyées soigneusement, les grandes artères fermées au public et le parcours désigné à l’avance, sans faille aucune. En notre nom, ils seront remerciés par le président, pour être venus partager la joie des Tunisiens, mais des Tunisiens ils ne verront que des gouvernants ne représentant que leur propre joie. Que sait-on de la joie des Tunisiens quant à l’adoption de la Constitution ? Sait-on au moins qu’ils sont plus joyeux de voir les interminables débats prendre fin, de savoir qu’ils ne verront plus certains députés, de penser que l’économie tunisienne ne pâtira plus du budget faramineux alloué à cette institution censée les représenter ? La joie du Tunisien que nos invités étrangers sont venus fêter est, de ce fait, une joie timide, une joie teintée de culpabilité par rapport aux martyrs de la nation tombés sur le chemin périlleux vers la stabilité politique.
La joie de nos gouvernants est, en revanche, ostentatoire. Elle s’est déjà exprimée à coup de feux d’artifice de second choix et de ballons lâchés en pleine mer. Elle s’exprimera ce soir avec plus de raffinement, certainement, au Palais Ennejma Ezzahra, lors d’un concert qui sera organisé en l’honneur des convives de la Tunisie ou du moins ceux qui resteront en Tunisie et qui voudront bien y assister. Car après l’incident survenu à l’ANC cet après-midi, et après la prise de parole du président du parlement iranien, la délégation américaine s’est retirée de la séance. Inviter l’Iran et les Etas-Unis, n’était-ce pas une idée dangereusement audacieuse, en effet?
Que la Tunisie soit aujourd’hui le centre d’intérêt aux yeux des pays voisins et amis est une fierté pour tous les Tunisiens. Cependant, il serait judicieux d’évoquer, avec certains représentants de pays ayant fait le déplacement, les véritables problématiques telles que l’immigration. Car évoquer avec le représentant italien, « l’intérêt de l’Italie pour la démocratie en Tunisie », est bien beau, mais il serait encore plus beau de rappeler, ne serait-ce qu’à travers un clin d’œil discret, les milliers de jeunes se perdant en mer, entre les deux rives de la Méditerranée. Il serait judicieux de rappeler à nos partenaires stratégiques que l’on attend d’eux davantage qu’un soutien moral et que pour construire cette démocratie qu’ils sont venus fêter, la bonne volonté ne suffira pas.
Il serait bon de leur dire que la bataille de la veille contre le terrorisme ne sera probablement pas la dernière, que la Tunisie se débat encore contre ce monstre engraissé par des mois de mauvaise gouvernance et des années de laisser-aller. Il serait bon de leur parler des blessés, qui après des mois de soulèvement, souffrent encore, de tous ces petits Tunisiens malades et qui en Tunisie et à défaut de départ ailleurs, ne font que se consumer, de ces jeunes qu’on met en prison pour leurs idées, de la faim qui ne quitte pas certains ventres et des ventres qui poussent à vue d’œil… Il serait bon de leur dire que la Tunisie, comme d’autres pays, a ses cocus, et que ces cocus de la révolution* que nous sommes ont du mal à festoyer.
Plusieurs représentants sont venus fêter notre parcours houleux sur le chemin de la démocratie, alors que la démocratie reste, dans leurs contrées, une simple notion. En revanche, les festivités officielles de cette nature, les discours interminables desquels ont les lassera, les paroles creuses desquelles on les gratifiera sont devenus, chez nous, une simple notion que l’on croyait révolue. Avec un président sans cravate, nous croyions révolu le conformisme officiel, les banquets présidentiels et les dépenses superflues. Mais, visiblement, à la présidence de la République, il n’y a en moins que la cravate.