Pour moi à qui on suggérait souvent d’écrire sur un sujet positif, d’aborder une lecture joyeuse de notre quotidien, il était important de fouiller parmi le flux d’informations de la semaine, ce qu’il y avait de gai à aborder. Mises à part les prouesses footballistiques du samedi, je n’ai rien trouvé! Alors j’ai décidé de faire de cette réalité monochrome, une lecture en couleurs. L’événement majeur de cette semaine aura été le livre noir publié par la présidence de la République au sujet de ceux qui ont fait la propagande du régime de Ben Ali. L’institution présidentielle s’inscrit avec la publication d’un tel ouvrage dans la lignée des « livres de couleurs », en l’occurrence le vert et le rouge ! Kadhafi, ancien président libyen, avait fait du vert, la couleur de son livre référence. Son ouvrage reproduisait, en effet, sa façon de voir le monde et le confortait dans sa position de leader. Mao Tsé-Toung, homme d’Etat chinois, avait fait du rouge la couleur de son livre emblème. « Le petit livre rouge » est le deuxième livre le plus vendu au monde après la Bible ; un livre où le leader chinois traçait les lignes directrices de toute une doctrine, un livre qui l’imposait en tant que guide suprême de son pays et de ses compatriotes. Moncef Marzouki a fait du noir, la couleur du dernier ouvrage de l’institution qu’il préside. Un livre entouré d’opacité, reproduisant l’état d’esprit et imitant le mode de réflexion d’un président qui, dès son premier discours, a opté pour la stratégie consistant à « diviser pour mieux régner ». La première intention a été atteinte au moyen de dichotomies de différents genres, la deuxième ne le sera probablement jamais. Encore un livre se distinguant essentiellement par sa couleur, une couleur hautement symbolique à une époque où la présidence de la République a trouvé sa vocation en l’annonce de deuils nationaux et en l’art de porter les cercueils des soldats tombés pour la Tunisie. Un livre qui sort, timidement, à une époque où le parti des lunettes rouge et vert, celui de Moncef Marzouki en l’occurrence, continue à voir du noir partout, à chercher des « éléphants roses », à courir tel un mauvais torero derrière une bête à abattre et qui s’acharne devant tout un pays qui se débat contre ses fantômes d’hier et les démons d’aujourd’hui. En Tunisie, chaque dirigeant avait conduit le pays selon une nuance de son choix : main rouge maculée de sang de l’ère pré-bourguibienne, bras mauve de l’ère de Ben Ali, couleur d’un égo national marqué d’ecchymoses, bleu caractéristique de la couleur d’un islamisme-traumatisme, d’un choc électoral ayant frappé de front un pays aux allures pourtant modernistes ! De bleu ils ont même teinté nos billets de banque ! Du prisme des couleurs, nous avons bien envie de supprimer des couleurs, mais ne nous resterait qu’un jaune-dents en faux sourire de ceux qui ont mangé tout notre pain blanc et qui croient avoir du sang bleu, en narguant tout un peuple avec leur révolutionnisme monnayable et en tirant à boulets rouges sur ceux qu’ils cataloguent comme les corrompus d’hier. Une histoire cousue de fil blanc dont l’issue est quasi prévisible et qui nous mènera à des rancunes non seulement sur le plan social, mais aussi au sein d’un corps de métiers de nature sensible et dont le pouvoir est de taille. En attendant, la noirceur continue à régner et notre président, super héros en cape-burnous noire, poursuit son chemin funeste de croque-mort, mettant sous terre au rythme de l’hymne national, ceux qui de leur sang ont honoré la Tunisie. La Tunisie a enterré aujourd’hui Youssef Dridi, soldat tombé au mont Chaâmbi, énième proie d’un terrorisme qui s’affirme à coup de mines, d’amputations et de morts. Par ailleurs, l’Egypte a enterré en ce même jour, Ahmed Foued Najm, grand poète de toute la nation arabe. Défenseur acharné des cols bleus, chantre d’une révolution culturelle, Najm a quitté cette nation en proie encore à l’inconnu qui la guette. L’œil rouge, la main jaune, le cœur noir… Qu’ils sèment le mal, en nous, ne germera que l’espoir.