La scène culturelle tunisienne a perdu une de ses brillantes étoiles. Raja Ben Ammar, grand nom du théâtre tunisien n’est plus. On la regrette, on la pleure, on lui rend des hommages posthumes… Posthumes, c’est fou ce que ce type de démonstrations d’intérêt suscite de l’intérêt dans nos contrées.

La culture a, dans notre scène publique, l’image qu’elle a dans le budget de l’Etat: de la figuration. A tel point que l’intérêt pour elle devient occasionnel et ostentatoire.

Qu’avons-nous fait de notre élite? Nous avons attendu qu’elle meure pour la saluer. Qu’avons nous fait de nos grands? Nous les avons mis sous terre et les avons érigés en idoles. Pourquoi? Parce que la scène publique est pleine. Elle étouffe, elle suffoque à force de médiocrité télévisée et d’audiences accordées au gré de l’audimat, des sondages et des agendas politiques.

Une nouvelle élite a parasité le paysage tunisien. Une fausse élite usurpatrice, celle des plateaux télé et des réseaux. Quant à la vraie élite méritante, elle a été enterrée vivante. Sa parole a été décriée lors de nombreux passages ayant suivi la révolution. Au nom de l’idéologie, elle a été diabolisée, par moments, puis absente du système. N’y survivent que quelques figures à la pensée pouvant épouser l’idéologie et le système. C’est l’exemple du modèle bourguibien ayant été adopté (à outrance, d’ailleurs) par le marketing partisan et qui permet la mise en avant d’une élite suscitant un intérêt de conjoncture. Celle là devient star de l’audimat non pas pour l’intérêt de son oeuvre mais comme complément de projets politiques.

Quant aux cinéastes, écrivains, figures de théâtre, chanteurs, danseurs, peintres, sculpteurs et autres acteurs de la scène culturelle tunisienne, ils se meurent de désintérêt. Les projecteurs se braquent sur eux le temps d’une consécration et s’en vont ailleurs très vite.

Raja Ben Ammar comme Gannoun avant elle, comme tant d’autres éminences tunisiennes, sont les fondateurs de ce pays, d’une certaine manière et d’une manière certaine, ils ont contribué à l’édifice; édifice que d’autres poursuivent, dans la discrétion. Attali écrivait dans un récent écrit que « les nations se nourrissent des grandes polémiques culturelles qui y surgissent. Elles meurent quand ces polémiques n’existent plus, quand chacun s’y résigne à n’être plus qu’un consommateur de distraction, solitaires et juxtaposées. »

C’est ce que nous sommes en train de devenir à force de politique stérile et d’aridité orchestrée. Le débat public devrait être porté par les faiseurs d’idées. Ce sont eux les vrais chefs de file à même d’orienter, de représenter ce pays, de l’éclairer. Ce sont eux les raviveurs de pathos auxquels tout citoyen devrait s’identifier pour être tiré vers le haut. A défaut, le règne de la médiocrité et de l’opportunisme est en marche et comme il a absorbé le présent, il absorbera le passé, celui qui compose l’Histoire collective, elle-même composée des histoires d’éminentes individualités. Alors qu’avons-nous fait de notre élite?

« Les hommages rendus aux morts sont la parure des vivants », Euripide

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