Crise. Guerre d’égos. Bataille de bandits. La puberté attardée de Nidaa n’est pas belle à voir. Mais pas que ! Nidaa n’est pas ce petit parti qui pourrait se déconstruire sur un coup de tête comme il s’est construit en un coup de baguette. Le parti au pouvoir serait trop jeune pour le pouvoir. Il est, d’un autre côté, trop impliqué dedans pour se permettre des écarts aussi tristement spectaculaires. Nous n’avons même pas besoin de suivre un quelconque regard pour savoir à qui le crime profite. Ceux qui y perdent sont, quant à eux, nombreux et, jusqu’ici, ignorés.

En cette période mouvementée, parmi les islamistes on se reconstruit une jeunesse, on se forme, on tisse son réseau, on s’offre une nouvelle image et on se fait des amis parmi ses ennemis. Ces amis devenus dès lors les ennemis d’eux-mêmes. Car du côté de Nidaa l’accession au pouvoir a été, continue à être et sera probablement pour longtemps, une épreuve éreintante. Et à l’épreuve ne résiste que le plus fort, le plus organisé, le plus prêt. Et le plus prêt pour la longue durée, celui qui a fait profil bas pour mettre main basse au bon moment c’est bien l’islamisme politique revisité d’Ennahdha. Tout va bien pour Ennahdha, tout va mal chez les démocrates !

Il faut dire que nous avons des démocrates au « démocratisme » pathétique. Quand il s’est agi de sujets à portée idéologique ils se sont montrés conservateurs. Des questions comme les sanctions pénales à l’encontre des relations homosexuelles, comme l’arrestation d’une jeune fille et d’un touriste après une nuit passée à l’hôtel ont remis à l’ordre du jour le degré d’ouverture des plus ouverts d’entre nos hommes politiques au pouvoir. Et ça frôle le zéro. A tous les niveaux ! Quand ce n’est pas au niveau des actions, c’est au niveau de la communication. On rame et on rame depuis des mois. Et du côté des Nidaïens, on tente encore de convaincre ceux qu’on a bernés la veille que tout va bien et qu’ils n’ont presque pas été arnaqués.

L’arnaque du siècle a pourtant cessé de fonctionner. N’y croient encore que ceux qui ne sont pas encore parvenus ou ceux qui le sont un peu trop pour une volte-face. Les autres ont compris que le vote utile a ruiné la scène politique tunisienne. Un des grands acquis d’après-révolution a été la pluralité parmi les partis. Mais pour rafler la mise, Nidaa avait usé d’un slogan présentant comme inutile tout vote à un autre parti même du même camp. Paradoxalement donc, avec la victoire de Nidaa, les démocrates avaient été les perdants. Leur électorat récupéré. Leur poids rapetissé. Leur existence inutile, du coup. Arrivé au pouvoir, Nidaa se ralliera à son ennemi de la veille. Celui pour l’élimination duquel il avait appelé au vote pseudo utile. Les Nidaïens se sont rassemblés pour nous faire haïr l’islamisme. Ils ont fini par nous offrir à lui, sur un plateau.

Car au-delà de la querelle d’une bande de politiciens plus apprentis que chevronnés, c’est de l’avenir de tout un pays qu’il s’agit. Le parti qui s’offre en spectacle depuis dimanche dernier est le parti au pouvoir. De sa stabilité va celle du pouvoir en place. De sa fragilité nait celle de toute la Tunisie. Le déluge chez Nidaa pourrait être synonyme de changements politiques aussi importants qu’inopportuns. Car qui dit rupture à Nidaa, dit éclatement au sein du bloc parlementaire. Et qui dit implosion à l’Assemblée des représentants du peuple dit nouvelle majorité et donc nouvelle répartition du pouvoir. Les figurants pouvant ainsi devenir les héros de la prochaine période. Les votes anti-islamistes par essence auront, dans ce cas, abouti à l’accession au pouvoir de ceux contre lesquels le vote sanction avait été imposé par Nidaa comme une évidence patriotique.

Et c’est par patriotisme, si ce mot a encore un sens pour certaines figures partisanes connues et méconnues, que Nidaa et ses dirigeants devenus chefs de bandes devraient cesser le spectacle désolant qu’ils nous offrent. Outre l’aspect pitoyable qu’ils donnent à leur parti, c’est du prestige de l’Etat qu’il y va. Oui, prestige de l’Etat ! Leur cheval de bataille d’avant les élections. Celui qui a présenté en période de campagne Béji Caïd Essebsi comme le leader pouvant redorer les blasons d’une République ternie par le règne d’une Troïka défaillante. Ce même Béji Caïd Essebsi devenu président de cette même République est aujourd’hui impliqué dans des querelles vulgaires. Il est partie prenante d’une affaire ne faisant pas partie de ses prérogatives voire allant à leur encontre. Le président de tous les Tunisiens en redevient le patriarche de Nidaa. Il est en effet le père d’un des principaux protagonistes de cette guerre intestine secouant le parti qu’il a fondé. Il est aussi un des premiers à avoir essayé de résoudre les conflits en convoquant des élus de Nidaa, lesquels ont refusé, en partie, sa convocation. Pauvre Etat, de ton prestige on aura fait une farce pour des dindons.

Dindons dans une basse cour, voilà ce que devient cette classe politique sans classe. En frôlant les abîmes, elle traine tout un pays derrière elle. Car ce pays qui avait envisagé la pluralité comme porte de sortie de la dictature se retrouve désormais sans alternatives. Les autres partis du même bord ayant été achevés par Nidaa dans sa course au pouvoir. Toutefois, les électeurs que Nidaa avait détournés au moyen de l’appel au vote utile sont encore là. Ils constituent un poids ayant déjà montré sa capacité de faire un contrepoids quand les enjeux politiques sont déterminants pour le pays. Y a-t-il encore des partis pouvant les attirer ? Des slogans pouvant les convaincre ? Des politiciens susceptibles de les récupérer ? Au sein de nos partis, la réflexion stratégique n’est de mise qu’en période de précampagne. La considération pour l’électeur potentiel n’est appliquée que pendant la campagne et nos leaders politiques ne sont des leaders que devant les caméras et ce pour une durée bien déterminée. Une fois leur arrivisme assouvi, ils lâchent prise. Bien mal acquis ne profite jamais, selon le proverbe. Succès sans mérite ne profite pas à celui qui l’a eu, Nidaa en exemple.

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