Le suicide d’un jeune chômeur de Kasserine a alimenté, depuis le 16 janvier 2016, la grogne populaire et ravivé ce qui restait de dignité, dans un pays où les valeurs au nom desquelles le peuple s’est soulevé sont devenues de vains slogans politiques. Parce que son nom a été ôté d’une liste pouvant le faire parvenir à un poste dans le secteur public, Ridha Yahiaoui a été électrocuté, alors qu’il tentait de se suicider, en pleine rue, dans sa ville qui, depuis 5 ans, n’a connu que les promesses non tenus et n’a vu défiler que la figuration politique. Depuis, sa région et celles limitrophes ont entamé des actions de protestation pour dire leur colère et pour faire passer le message à ceux qui nous gouvernent.

Et c’est à nos gouvernants de savoir décrypter ce cri qui leur parvient de l’intérieur de la Tunisie. Eux qui avaient échoué à anticiper par l’action et par la communication, ils ne doivent pas rater le coche, maintenant qu’il s’agit de réaction.  C’est justement sous la pression que nos politiciens doivent trouver la manière adéquate pour calmer ce pan non négligeable du peuple qui se soulève. Non négligeable, non pas par le nombre, mais par rapport au passif de cette région qui a joué le rôle de précurseur en matière de protestations. Manière adéquate, car ce qui a été entrepris n’a pas donné satisfaction et que cela ne relève pas uniquement du bilan appréciatif voire subjectif, mais chiffré et pragmatique.

De 12 % en 2010, le chômage est passé à 15,3 % fin 2015. Pourtant, c’est de révolution économique qu’il s’agissait, il y a cinq ans, quand au nom de la dignité les Tunisiens ont réclamé le changement et l’ont enclenché. Le politique, on lui en voulait, essentiellement, pour son échec cuisant dans le cadre de la gestion équitable entre les régions et de celle encore plus foireuse de la communication de crise qui, au lieu d’écouter, réprime. Le politique n’était, alors, qu’un alibi pour dire un mal plus enraciné et aussi pénalisant au quotidien qu’un changement de président ou de système de gouvernance.

Les slogans révolutionnaires ont été récupérés politiquement pour construire des slogans électoraux dissonants. La révolution a été vidée de son sens et popularisée par l’approche commémorative  « novembriste ». La politique a échappé à ceux qui en ont été, un certain janvier 2011, les principaux marionnettistes.  Ont ainsi été oubliées les principales revendications et nous avons dévié de l’essentiel vers l’idéologie. Un débat stérile a gavé et continue à gaver une opinion publique désormais blasée par les polémiques centrées sur la laïcité, l’apostasie et le fanatisme caché et assumé.

Nous voilà perdus sur un chemin difficile, au milieu d’une foule qui nous observe et du danger qui nous guette. Nous avançons sans feuille de route, sans plan, sans réflexion, sans stratégie ou presque hormis celles ne prenant comme ultime destination que les ambitions égocentrées de bandes politiciennes organisées en partis. Ceux-là n’ont, incontestablement, pas encore remarqué que les promesses sans suites, c’est dépassé de mode, dans un pays qui a lancé la mode des résolutions populaires et de l’action citoyenne aboutie.

Le pragmatisme citoyen dépasse celui du politique. Et quand le peuple attend le concret, alors que ses dirigeants sont encore en mode logorrhées le pragmatisme devient force et toute force non canalisée prend un aspect anarchique. Anarchique peut donc paraître la déception démocratique qui se fait holà à l’adresse d’une Tunisie qui oublie ses enfants et de politiciens qui, de l’Histoire, n’ont pas retenu de leçon. La violence ne se cautionne pas, mais doit être comprise pour qu’une réponse efficiente soit donnée.

Plusieurs décisions ont été annoncées, ce soir du 20 janvier 2016, alors que le pays connait encore des embrasements aux foyers multiples. Elles seront annoncées, après un conseil ministériel silencieux présidé par le ministre des Finances qui remplaçait, en tête de table, Habib Essid parti à Davos s’occuper d’économie mondiale. 5000 chômeurs seront recrutés, 1400  personnes seront embauchées selon le mécanisme 16, des terrains communs seront transformés en terrains de propriété foncière privée durant les deux prochains mois, 1000 logements sociaux seront construits, 500 petits  projets allant jusqu’à 6 millions de dinars seront mis en place, des médecins spécialistes seront en poste dans la région, l’infrastructure améliorée et une commission d’investigation concernant les cas de corruption sera mise en place. L’utopie à l’état politique : de Kasserine on fera un paradis sur terre. Politique chimérique et réveil apocalyptique pour une jeunesse que le désoeuvrement a ternie. Une jeunesse qui a mal, face à ses propres rêves d’un sursaut politique régénérateur pour une Tunisie autre que les plus influents oublient. Entre eux et ceux qu’ils pensaient avoir choisis pour les représenter, il y a un monde, le monde des laissés-pour-compte. Et face à eux, nous sommes tous en échec!