La Tunisie intègre le Marché commun de l’Afrique orientale et australe (Comesa). Pour le ministre du Commerce, Omar El Behi, la multiplication d’accords bilatéraux permettra à ses entreprises d’exporter leur savoir-faire et de participer à l’essor de pays à fort potentiel.

 

Pourquoi la Tunisie a-t-elle rejoint, en juillet 2018, le Comesa ? 

Nous sommes ravis d’avoir intégré ce consortium important qui regroupe 21 pays ; la Tunisie étant le 20e pays et, le 21e, la Somalie. L’espace regroupe plus de 500 millions d’habitants, donc plus de 500 millions de consommateurs avec une croissance moyenne importante et avec un potentiel de croissance future important.

La Tunisie, dans sa politique générale de développement, entend diversifier ses échanges. Actuellement, le principal partenaire économique de la Tunisie est l’Union européenne, qui représente plus de 69 % de nos exportations. Pour diversifier nos exportations, nous avons choisi de nous orienter vers le marché africain. Aujourd’hui, l’Afrique subsaharienne représente moins de 1 % de nos exportations ! C’est pour cela que le potentiel est énorme avec ces pays, que ce soit dans le cadre du Comesa qu’auprès des pays de la Cedeao.

La Tunisie présente une bonne productivité par rapport à ses partenaires. Ce qui prouve que les échanges et l’ouverture économique vers l’Afrique ne vont pas se dérouler au détriment du pays. Nous en sommes convaincus.

Au niveau du Comesa, ce qui est important aussi, c’est que nous concevons nos rapports dans un esprit gagnant-gagnant, dans l’intérêt de chacun. Il ne s’agit pas de destinations pour exporter nos marchandises, mais nous y voyons plutôt un moyen pour construire des relations bilatérales. Nous pouvons exporter, mais aussi importer, favoriser des échanges culturels, des échanges économiques, des échanges de propriété intellectuelle, dans la Santé, l’industrie agroalimentaire…

Dans le cadre de la diversification de ses relations diplomatiques, de ses relations commerciales, la Tunisie veut être plus présente dans ces régions. Et nous voyons qu’elle est bien acceptée, tandis que d’autres demandes ont été refusées !

Pourtant, la Tunisie est-elle assez compétitive pour aborder les marchés africains ? 

Oui, nous avons une assez bonne connaissance de ces marchés. Par rapport au potentiel de croissance de ces pays, il faut réfléchir à l’avenir. D’un point de vue agricole, par exemple, ces pays regorgent de ressources mal exploitées ; nous pouvons développer ensemble une production agricole et agroalimentaire beaucoup plus importante grâce au savoir-faire des industriels tunisiens.

Qu’exporte la Tunisie en direction de ce continent ? 

Trop peu, nous venons de le voir. Une fois que les relations commerciales seront améliorées, le secteur privé prendra la suite. Les acteurs du secteur privé se montrent ravis de cet accord avec le Comesa et entendent aller de l’avant. Nous attendons, de notre côté, l’accord définitif de l’Assemblée nationale à laquelle le projet de loi a été présenté, comme c’est le cas pour tous les accords multilatéraux. Je pense que, dans quelques mois, il entrera en vigueur.

Dans ces pays partenaires, au niveau agricole et agroalimentaire, nous pouvons participer à beaucoup d’investissements. La Tunisie a des groupes importants dans ce domaine qui sont déjà présents en Afrique de l’Ouest et qui veulent investir encore en Afrique. Ce qui pourrait être intéressant,

c’est de faire des investissements en Tunisie qui peuvent être tripartites avec des pays de l’Union européenne ou des pays du Golfe qui peuvent venir investir en Tunisie et exporter vers les pays du Comesa. Cela peut être utile, notamment, en relation avec les pays anglophones avec lesquels la Tunisie n’a pas beaucoup d’échanges.

Que comptez-vous faire pour pousser les Tunisiens à mieux connaître les subtilités du marché et surtout pour accompagner ce mouvement en se diversifiant vers « ces Afriques » (anglophone, lusophone, etc.) ? 

Deux représentations diplomatiques nouvelles vont s’installer en Tunisie. Le Cepex (le Centre de promotion des exportations) ouvre, quant à lui, deux bureaux de liaison dans deux pays d’Afrique, au Nigeria et en Côte d’Ivoire. Ils seront mis à disposition de nos chefs d’entreprise.

D’autre part, nous voulons encourager les missions itinérantes réalisées avec le secteur privé vers ces pays. Nous venons de conduire une mission à Addis-Abeba avec des hommes d’affaires tunisiens. Nous pensons faire la même chose avec d’autres groupes à destination du Kenya, du Rwanda, de la RD Congo. Je vous rappelle que STEG International a installé tout le circuit d’exploitation de l’électricité au Rwanda ! La société tunisienne a apporté son savoir-faire et y a gagné de la reconnaissance. Nous pouvons développer davantage ces relations avec des groupes de cette envergure ou avec des bureaux d’études tunisiens comme Africinvest, Comete Engineering et d’autres groupes.

La Tunisie a des atouts dans l’univers du numérique, dans l’enseignement, dans les soins médicaux. Intégrez-vous ces facteurs dans votre conquête des marchés africains ? 

Je n’aime pas trop le mot conquête, parce que, pour nous, il s’agit de partenariat gagnant-gagnant ! Autrement, oui, nous évaluons les possibilités selon ces atouts. En avril 2018, s’est tenu à Tunis le Forum économique africain. Nous en organiserons une deuxième édition, en juin 2019, et nous voudrions développer notre stratégie autour de ces cinq piliers : le secteur agroalimentaire, la Santé, l’industrie pharmaceutique, les TIC, et l’enseignement supérieur. Nous avons un potentiel de croissance important.

La Tunisie subit une crise financière. Comment affrontez-vous cette situation intérieure tout en ayant l’ambition de vous investir ailleurs ? Ne prenez-vous pas le risque d’une dispersion de moyens et d’énergie ? 

En matière de compétitivité, nous avons, récemment, réalisé une étude de laquelle il ressort que la Tunisie a une bonne productivité par rapport à ses partenaires. Ce qui prouve que les échanges et l’ouverture économique vers l’Afrique ne vont pas se dérouler au détriment de la Tunisie. Nous en sommes convaincus. La situation économique du pays est difficile, mais, par rapport aux années précédentes, nous constatons une amélioration. Le rythme de croissance, au deuxième trimestre 2018, ressortait à 2,8 %. En 2017, le PIB a augmenté de 1,9 %, contre 1 % en 2016.

Certes, cette amélioration se double d’obstacles, face au déficit de la balance commerciale, celui du Trésor. Concernant le déficit budgétaire aussi, nous avons des difficultés mais la situation s’améliore ; il était à 6 %, nous terminons l’année à 4,9 % et nous voulons aller vers 3,9 en 2019.

Avec les réformes engagées – parfois douloureuses –, la loi de Finances 2018 a ramené le déficit budgétaire sous les 5 %. Nous ne pouvions pas continuer avec des taux supérieurs ! Nous entendons revenir vers les 3 % en 2020. Quand nous aurons réduit le déficit budgétaire, nous pourrons diminuer l’endettement et sortir du cercle vicieux de la dette.

De même, il est important pour nous de diminuer le déficit de la balance commerciale. La Tunisie exporte par an l’équivalent de 13 milliards d’euros et importe, à peu près, pour 19 milliards, soit un taux de couverture de l’ordre de 67 %. Les secteurs productifs de l’économie tunisienne sont l’industrie mécanique et électrique avec plus de 40 % des exportations (c’est donc un secteur sur lequel nous misons par rapport à nos échanges africains), mais nous comptons aussi sur le secteur agroalimentaire et celui du textile.

Pour se faire une place en Afrique, la Tunisie, a besoin de chefs d’entreprises capables de comprendre le marché et de lui proposer des produits qui font la différence. Comment la Tunisie travaille sur cette dimension ? 

Beaucoup de groupes s’installent, en ce moment, en Afrique de l’Ouest. Nous restons en contact avec la Cedeao. Nous ne pouvons pas y adhérer, puisqu’il faut être un pays limitrophe avec un pays déjà membre, mais nous finalisons un accord commercial préférentiel. Par rapport à l’encouragement de l’État, au niveau du ministère du Commerce et du Cepex, nous disposons d’un fonds qui s’appelle le Foprodex, ainsi qu’un autre fonds de promotion des exportations, qui avaient un budget de 20 millions de dinars en 2017. Ils s’élèvent à 40 millions de dinars en 2018 et passeront à 80 millions de dinars (23,9 millions d’euros), en 2019. Ils servent à la promotion des exportations.

Nous avons, au niveau de ces fonds, augmenté les investissements vers la destination Afrique. Ils prenaient des engagements à hauteur de 30 % dans le transport maritime, ils passent à 50 % si la destination est en Afrique. Cette stratégie permet de dynamiser l’export, d’appuyer la participation à des foires, la promotion d’un produit… Nous offrons un bonus pour les entreprises qui se tournent vers les marchés africains. Le secteur privé est déjà présent dans ces marchés, mais nous pouvons aussi améliorer l’accompagnement.

On parle beaucoup de la Tunisie hub vers l’Afrique. Quels efforts en matière de transports envisagez-vous ? 

En 2017, nous avons ouvert une ligne vers Cotonou, mais vous avez raison, il faut intensifier nos efforts dans le transport. Nous espérons beaucoup de l’amélioration de la situation de Tunisair ; la compagnie bénéficiera, dès 2019, d’un nouveau mode d’acquisition des avions.

 

Interview de Omar El Behi, ministre du Commerce (Tunisie)