Le remaniement ministériel annoncé par Habib Essid depuis le mois de novembre a été, enfin, annoncé, mercredi 6 janvier 2016. Du changement dans le gouvernement, surtout à la tête des ministères régaliens, suppression des secrétariats d’Etat, des départs, des arrivées et des remplacements. Du sang neuf dans la sphère de l’exécutif. Enfin !  La Tunisie en avait besoin. Le terrorisme passé par là, il y a un mois environ, et la crise politique qui a scindé le parti au pouvoir imposaient qu’il y ait du nouveau…  même avec de l’ancien.

Toutefois, le gouvernement Essid, dans sa version remaniée est, depuis l’annonce, au centre de polémiques multiples. A chaque ministre son lot de réserves, à chaque réserve son lot d’a priori. Nidaa, Ugtt, opinion publique ont opposé leur veto par rapport à un gouvernement loin de s’imposer à l’unanimité. Refus général du remaniement pour absence de stratégie visible ou refus opposé à telle ou telle arrivée de ministre ou tel ou tel départ d’un autre. La copie remise ne plait pas à tous. Compte-t-on la revoir ? On attendra, à coup sûr, de voir si l’avis de la foule aura imprégné suffisamment les élus de l’ARP pour qu’une volte-face, même partielle, s’opère.

Prévisible, en effet ! Prévisible qu’un parcours rapide de la tendance générale sur les réseaux sociaux fasse avancer des réserves à certains députés. « Halte au sionisme, la case Tel Aviv dérange pour untel », « Son prédécesseur était finalement devenu bon ministre », pour un autre, « Un escroc à la tête d’un ministère, que nenni ! »… Et plus encore, si absence d’affinité. Et l’affinité manquera inévitablement, pour des raisons idéologiques et surtout partisanes, dans le cadre d’un potentiel gouvernement ouvertement politique.

Souvenons-nous du vote de confiance au gouvernement Jomâa en janvier 2014 et l’accueil réservé à la première version du gouvernement Essid, début 2015. Les élus ça peut se montrer féroces ; aussi féroces que les internautes. Essid devrait se méfier ! Néanmoins, nos chers représentants partent dans cette confrontation avec un sérieux manquement. Leur séance plénière est anticonstitutionnelle, d’après un spécialiste de renom.

Le constitutionnaliste Kais Saïed a, en effet, révélé que le règlement intérieur de l’ARP est tout bonnement en contradiction avec la Constitution. Oui, rien que cela ! La bénédiction de l’ARP, le gouvernement remanié n’en avait guère besoin. Une étape inutile, en somme, car seule la mise en place d’un gouvernement nécessite un vote de confiance, l’ajout et le changement  ne le nécessitent point. On apprendra, également, à la suite de cette lecture critique, que Habib Essid devait annoncer d’abord le remaniement lors d’un Conseil des ministres avant de s’empresser de le faire devant les caméras. On saura aussi qu’il n’avait pas, d’un point de vue constitutionnel, à faire disparaitre les secrétariats d’Etat.

Un élu sortant nouvellement porte-parole du gouvernement commentera les remarques de Kaïs Saied comme suit : va pour l’inconstitutionnalité ; il s’agit du premier usage que nous faisons de la Constitution, n’est-ce pas normal qu’on y décèle des lacunes ? Non, Monsieur Chouket, désolée, normal, ça ne l’est pas ! Service après-vente des Constitutions, à l’aide ! Ca grince à l’ARP.

Le gouvernement récemment reformé ira donc, pour rien, chercher la bénédiction de l’ARP et subir les foudres de quelques-uns de ses locataires, lundi 11 janvier 2016. Les ministres pourront ensuite prendre place dans leurs bureaux respectifs. Il leur faudra après se montrer, se faire connaitre et s’imposer. Mais avant cela, tels des bleus, il leur faudra découvrir, étudier, apprendre, se documenter… avant d’affronter une opinion publique aux aguets et un contexte aussi difficile que menaçant.

A la trappe, ceux qui maitrisaient enfin leur portefeuille ! C’est comme cela que ça se passe quand on ne cherche qu’à satisfaire le public au lieu de se concentrer sur l’essentiel. La performance des uns et des autres importe peu, le temps qu’un nouveau ministre mettra pour maîtriser enfin ses troupes et son dossier, on l’oublie. L’essentiel c’est le show ! Et le peuple aime le spectaculaire ! Ca émoustille les plus sceptiques et rend fanfarons les plus endoctrinés au nom de la démocratie naissante.

Une des composantes du spectaculaire est d’essayer de plaire. Et c’est assurément la raison principale de ce remue-ménage stratégique. Réconforter le public et conforter les partis au pouvoir dans leurs positions de force, voilà qui est fait. Cherchait-on l’efficience ? Visait-on à améliorer les performances du gouvernement par ces temps difficiles. Ca viendra, accessoirement. Ce n’est pas plus mal qu’en cours de route, l’image de Habib Essid reluise, que son capital sympathie pas très élevé ne soit pas définitivement entamé, que la politique entière du pays soit dans un nouvel élan mieux perçue de tous, le temps d’un renouveau.

Et puis le ménage de l’hiver s’était bien fait attendre. A tel point qu’on pensait la crise à Nidaa plus importante qu’une promesse d’un imminent changement. Et puis il est arrivé, le remaniement, au moment où le parti au pouvoir a complètement implosé, en deux… que dis-je, trois… que dis-je, quatre parties. Bien tombée l’annonce du remaniement, pile le jour où Mohsen Marzouk a annoncé la création de son parti. Il s’appelle comment déjà, son parti ? Oublié ! Voilà ! Ca a aussi servi à cela l’annonce anticipée d’un remaniement trop lent,  trop empressé et finalement anticonstitutionnel.