Voilà qu’en Tunisie, le débat se tourne de nouveau vers une problématique qui risque d’être de taille: l’égalité en héritage. Un projet de loi déposé par le député indépendant Mehdi Ben Gharbia fait déjà débat parmi les politiciens et divise au niveau de l’opinion publique.

Fustigée par certaines personnalités politiques, la démarche de Mehdi Ben Gharbia est loin de faire l’unanimité.

En attestent la prise de position de la députée du parti islamiste Ennahdha Yamina Zoghlami jugeant que la femme a d’autres priorités et la volte-face du Front populairedont certains leaders figurent parmi les 27 signataires et pour qui l’heure n’est pas à pareils débats.

Il faut dire que la situation tunisienne est bien délicate et que ce projet pâtit déjà d’un problème de leadership en la personne de celui qui le porte, en l’occurrence Mehdi ben Gharbia. L’absence de background féministe, éclairé de celui-ci, son passage de jeunesse par Ennahdha, l’absence d’assise partisane portant la démarche de cet indépendant font que l’initiative laisse sceptiques quelques-uns. On regarde alors du côté de l’agenda, on est dubitatif par rapport à la volonté première de cette initiative, on est suspicieux par rapport à son initiateur.

Pourtant la démarche de Mehdi Ben Gharbia n’est plus sienne tout à fait, elle est désormais portée par ses signataires dont certains étaient présents à ses côtés à la conférence de presse tenue le lundi 9 mai 2016, comme à l’événement de pré-annonce qui s’est tenu la veille. Un choix stratégique a fait rallier, à ce projet, des députés de plus d’un parti, tous en l’occurrence ou presque, Ennahdha manquant à l’appel.

Et c’est vers Ennahdha, en effet, que les regards se tournent. Le parti qui organise son Congrès dans quelques semaines aurait prévu, à l’ordre du jour, une réflexion autour de son orientation première. L’aspect religieux serait, ainsi, en passe de se muter en aspect civil. Le parti islamiste s’en trouvera ainsi détaché de sa tendance principale et une prise de position de caractère idéologique serait déterminante pour confirmer ou infirmer pareil changement. Si le parti de Rached Ghannouchi s’oppose à l’égalité en héritage en avançant l’argument coranique sa démarche sera décrédibilisée. S’il approuve la proposition en question il sortira grandi et en matière de communication cela sera la confirmation d’un statut nouveau à l’égard duquel beaucoup demeurent fortement sceptiques.

L’aspect idéologique que recèle la question qui, à nous, désormais, se pose augure donc d’une série de débats, d’une polémique pluridimensionnelle et d’une crainte dans un contexte où les grandes échéances ont été ponctuées par des questions d’ordre idéologique ayant abouti à une scission entre clans: les dits laïcs (dans un détournement étymologique très local faisant d’eux, presque, des mécréants) et les conservateurs (dans un rapport au texte religieux oscillant entre l’appui et le déni).

Nous sommes, en effet, dans le pays des paradoxes. Une société matriarcale et machiste à la fois où le débat déjà jugé hors-contexte sera attaqué par des non-pratiquants qui prendront l’argument religieux comme base de leur conservatisme. Le sujet purement législatif, son aspect politique, sa base féministe, sa visée « droit de l’hommiste » sont déjà confrontés à une querelle religieuse à laquelle le Mufti de la République a été le premier à prendre part. « le Coran est clair là dessus » et celui-ci ne laissait « aucune place à l’interprétation » car « la volonté de Dieu ne peut être changée », a affirmé Othmane Battikh dans une déclaration radiophonique.

L’argumentaire religieux auquel fait face ce projet pourtant de nature hautement sociétale fera dévier le débat vers un aspect déjà connu et qui a créé une distanciation par rapport à une certaine élite tunisienne, celle des universitaires spécialisés, d’une frange de la société civile et des constitutionnalistes qui essaient de proposer une lecture nouvelle à certaines dispositions, de participer à la séparation entre l’Etat et la religion et d’appréhender, autrement que par le prisme rigoriste, le texte saint et sa mise en pratique quotidienne.

L’égalité en héritage ne concernera pas que l’élite qui le portera, elle n’exclura pas la femme rurale, elle ne sera pas que le projet des femmes. C’est, en effet, un projet dont les retombées seront aussi économiques, un projet qui créera du nouveau dans le cadre de l’accession à la propriété souvent majoritairement masculine, de la détention de capital potentiellement propice à la création d’entreprises, de l’émancipation financière surtout dans les zones rurales où l’on a encore du mal à réclamer son héritage même quand celui-ci est exploité injustement par les frères.

Le projet de Mehdi Ben Gharbia est celui de toute une société. Il est un des projets de vie de certaines féministes, il est le bébé longtemps porté par l’Association tunisienne des Femmes démocrates, il est l’œuvre d’universitaires de renommée. Mais il n’est pas le projet d’une élite dite « laïque » et mené contre la religion et ses codes.

C’est d’ailleurs un projet de réforme qui n’est pas que tunisien. Pareille réflexion a déjà été amorcée au Maroc et en Iran. Car la société n’est pas figée et sa dynamique constante, une réflexion dans ce sens pourrait être envisagée.

Toutefois, il serait utile que l’aspect politique s’estompe, que la querelle religieuse soit freinée au profit d’une vision plus pragmatique, que les bénéfices individuels pouvant découler de l’initiative soient occultés au nom d’une démarche collective plus globale pour que la vision ne soit pas biaisée et le projet ne soit pas récupéré.

Passera, passera pas. Le débat risque d’être long et houleux. Nous avons jusqu’à la rentrée pour lancer les paris, croiser les doigts ou serrer les dents.

 

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