Article publié dans African Business (Octobre 2018)

Manager hors pair, personnalité marquante et inspirante, Badreddine Ouali est un entrepreneur tunisien dont la réussite est, désormais, internationale. Il est aujourd’hui à la tête de plusieurs projets, notamment à portée sociale.

Jeune homme ordinaire des faubourgs de Tunis, Badreddine Ouali a intégré l’école des Mines de Saint-Étienne. Un parcours universitaire qui lui a permis d’être embauché, peu après, par une société française spécialisée en ingénierie informatique et d’en être, à 27 ans, l’un des plus jeunes dirigeants. Son parcours n’aurait, probablement, pas été le même, s’il n’avait pas connu, en 1993, un licenciement. Mais Ouali avait décidé de sortir de l’ordinaire et de tenter l’aventure de l’entrepreneuriat. C’est en 1994, qu’il s’installe en Tunisie et choisit d’y fonder la société BFI, ancêtre de Vermeg. Après des débuts difficiles, beaucoup de travail, une période de création pendant laquelle il développait la nuit des solutions qu’il s’attelait à vendre en journée, le succès se profile, avec les premiers clients tunisiens. Son succès est indissociable de celui de son entreprise qui, en près de vingt ans, est passé de l’échelle régionale à une envergure mondiale.

L’éditeur tunisien de solutions logicielles spécialisées pour la banque et l’assurance est, aujourd’hui, une holding internationale qui réalise un chiffre d’affaires avoisinant les 100 millions d’euros, embauche plus de 1 100 personnes dans le monde et compte, dans son portefeuille clients, les plus grandes compagnies, banques et assurances internationales.

Valoriser les ressources humaines

Vermeg, forte de deux acquisitions stratégiques, celle du leader belge de l’édition de logiciels BSB et de Lombard Risk, premier fournisseur mondial de solutions intégrées de reporting réglementaire et de gestion du collatéral, opère désormais dans de nombreux pays. Elle enregistre 60% de son chiffre d’affaires en Europe, 20% en Amérique et 20% en Asie. Pourtant, Badreddine Ouali vit le succès de son entreprise sans démesure et envisage l’avenir en tenant compte de l’importance des étapes. Pas d’entrée en Bourse avant deux ans, pour lui, car sa société est en phase de transformation. Pour l’instant, il savoure, prudemment, le succès : « Nous avons la chance d’avoir comme clients Bank of England, Santander, Bank of New York, Wells Fargo, des banques majeures japonaises », relève l’entrepreneur qui poursuit sans fausse modestie : « Nous avons les meilleurs collaborateurs et nous avons les meilleurs produits. Si nous gagnons des parts de marché, ce n’est pas un hasard. » Conscient de l’importance de son personnel dans la croissance de ses projets, le fondateur de Vermeg mise sur l’humain. Personnage doté d’une forte intelligence sociale, il a instauré un management basé sur l’écoute et le bien-être des collaborateurs. Ses locaux « transformés à la Silicon Valley » et une attractivité intrinsèque à son domaine d’activité forment le bouclier de Vermeg face au problème de ressources humaines que connaissent de nombreuses sociétés.

Conscient de l’attractivité internationale, à laquelle répondent plusieurs compétences tunisiennes, Badreddine Ouali voit ce phénomène d’un bon œil : « Ceux qui partent constituent une chance pour nous aussi. Ils deviennent nos ambassadeurs ailleurs. C’est une fierté pour Vermeg de dire nos collaborateurs valent tous ceux qui sont dans le monde. C’est une fierté pour la Tunisie. » Il vit sa carrière comme un engagement envers la Tunisie, en gardant comme credo la nécessité de donner après avoir reçu. Y installer son entreprise aujourd’hui internationale est, pour lui, un choix du cœur avant tout. De son pays natal, l’homme d’affaires a fait l’épicentre de son activité, « parce qu’il y a plus de mers qu’en Suisse, plus de soleil qu’en Islande et que la Tunisie est proche de tout, comme un centre de gravité du monde ».

C’est pourtant aux Pays-Bas que le PDG a fait immatriculer Vermeg. Son idée était, à l’époque Ben Ali, de se préserver du « contrôle inamical », mais aussi du contrôle des changes, un obstacle que connaissent encore les entrepreneurs tunisiens et qu’il espère voir disparaître, dans les jours ou les mois qui suivent. Du changement pour la Tunisie, Badreddine Ouali a décidé d’en faire lui-même, en s’activant dans plusieurs projets à utilité publique.

À 55 ans, il s’estime dans la phase de la vie où on doit donner, après avoir reçu. Il a, ainsi, pu réaliser un ensemble d’actions à portée sociale, dans des champs divers comme l’humanitaire, la culture et l’employabilité des jeunes (construction d’écoles pour des réfugiés syriens dans le sud de la Syrie, financement d’une unité médicale dans un hôpital de Tunis, aide à des projets culturels…). Il est, aujourd’hui, à la tête du réseau Entreprendre, association de chefs d’entreprise œuvrant à l’aide à l’entrepreneuriat et du projet Smart Tunisia, un programme destiné aux entreprises du secteur de l’offshoring et qui s’engage à créer 50 000 emplois en cinq ans. Encourager les jeunes à la démarche entrepreneuriale et servir la compétence Tunisie à l’international font l’essentiel de sa démarche.

Une activité sociale essentielle

Ouali est considéré par un grand nombre de ses salariés et anciens salariés comme un mentor. Il a inspiré bon nombre de jeunes entrepreneurs tunisiens, représentant, pour plusieurs d’entre eux, un modèle de réussite tunisienne. Il étend, désormais, son aura à des jeunes de la Tunisie profonde.

Le projet phare de Fondation Tunisie pour le développement, récent fleuron de la société civile tunisienne, s’appelle Elife et se veut une version locale de l’École 42 de Xavier Niel, avec qui une collaboration est en place. Sa cible, les villes de l’intérieur du pays et son idée est de répondre au besoin des jeunes, selon trois axes : la formation pour trouver du travail, l’entrepreneuriat pour ouvrir des perspectives et l’organisation d’événements « pour que ces jeunes voient autre chose que le café et la mosquée de leur village ».

Mécène, philanthrope ou manager visionnaire et créateur de compétences ? Ouali se place plutôt dans une démarche aux références culturelles multiples: « Dans notre culture arabe, il y a ce que l’on appelle « les pieux prédécesseurs » (Assalaf Assalah ). Dans la technologie, qui sont ces pieux prédécesseurs ? Ce sont des gens comme Bill Gates ou le patron de Facebook, des gens qui ont donné, de leur vivant, leurs fortunes, à des actions caritatives. Je me suis mis dans cette chaîne ».

Plutôt en retrait au début de son parcours, Badreddine Ouali est désormais plus visible sur la scène tunisienne. Un choix qu’il aurait préféré ne pas avoir à faire, mais auquel il dit se soumettre, par obligation, les actions discrètes ne pouvant pas, réellement, impacter les jeunes auxquels ses projets se destinent.

De par le succès de son entreprise et la nature de ses récents projets, Ouali est, certes, dans la sphère des décideurs, mais il n’envisage pas, pour le moment, de carrière politique. Au moyen de son travail au sein de sa fondation, il est persuadé de servir davantage l’intérêt public. Président un jour? « Que Dieu m’en préserve », s’empresse-il de lancer, avant de conclure, sarcastique : « Quand j’aurai dans les 80 ans, j’y songerai peut-être. »

Article publié dans African Business (Octobre 2018)